Heureux habitants d’un beau pays hexagonal à peu près en lambeaux, et des autres contrées circonvoisines et déplorables, comme disait notre bon Philippe Meyer en attaquant ses chroniques, « ce n’est pas pour me vanter », mais je constate que la réforme de la profession nous démontre au moins un paramètre aussi solide et rassurant que collant et lourdingue, de la mentalité tricolore de nos contemporains. Je veux parler de la tendance à verser systématiquement dans l’excès et la démesure dès qu’il s’agit de bouger les lignes.

Quand j’étais jeune notaire, en Lozère, on avait tous la bouche remplie du slogan prometteur « 10 000 notaires en l’an 2000 ». En Lozère, je précise qu’on avait la bouche remplie du slogan, mais entre les repas seulement, parce que les repas d’ A.G de l’époque, c’était grandiose ! D’ailleurs, la première fois que j’ai mis les pieds sous une table post-A.G, j’ai cru qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat sur ma douce personne, tant la chère était abondante et propre à susciter l’émoi de mes papilles, enfin bref… C’était dans les années 90, si je me souviens bien.

16 ans après l’an 2000, on atteint, au 1er janvier, 9802 notaires, sur 4570 offices et 1336 bureaux annexes (chiffres officiels). Y’a quelque chose qui cloche ! À l’époque, on nous « gonflait » donc avec du vent ! Quoi, non ? Si, un peu quand même…

Finalement, les 10 000 notaires, c’était pour rire ! Nos amis de Bercy et de l’Autorité de la Concurrence se sont alors dit (en gros, et traduit dans mon langage grossier de petit notaire de campagne ) : « okay les gars, vous voulez pas débloquer le compteur, pas de problème, on va vous faire un tour de chauffe, vite fait ». Et zou, résultat des courses : 1 000 offices de notaires de plus en 1 an ! Avec un peu de pot, 1 000 offices, ça nous fera à la louche 1 200 ou 1 300 notaires de plus à ramer après le dossier, à courir après le client, si possible en essayant de piquer celui des autres et à facturer son boulot à la baisse.

Oui mais comment blâmer réellement les auteurs de cette réforme ? Les notaires se sont finalement cherché un bon coup de pied au derrière, et maintenant ils disent qu’ils sont désagréablement surpris de ce qu’on leur impose de l’extérieur. « Dieu n’aime pas les créatures qui se lamentent des effets alors qu’ils chérissent les causes » disait, je crois, Bossuet.

Nos bonnes instances suprêmes et nos autorités de tutelles n’auraient-elles pas pu amortir le coup, en amont, au lieu de nous seriner « 10 000 notaires » ?  Pourquoi attendre qu’on nous « botte les fesses » à ce point, pour faire croire qu’on allait de l’avant, puis en finale, perdre la main ?

Soit nos instances suprêmes ont, en douce, l’intention de défendre, encore et toujours, un pré carré (tout petit carré, à présent, avec un tout petit pré couvert d’herbe maigre, jaune, et sèche, et plein de cailloux qui font mal aux pieds quand on marche dedans, puisqu’on ne pourra aller désormais que pieds nus et la corde au cou).

Soit nos « autorités de tutelle » ont réellement l’intention de nous liquider sous 10/15 ans, pour confier l’activité (et surtout le chiffre d’affaires) de la profession à quelqu’un d’autre. Mais qui ? Les paris sont ouverts, celui qui trouve le premier aura droit à la considération distinguée de tous les autres.

On n’a décidément, dans notre beau pays, pas, ou plus, la culture de la modération, du dialogue, de la planification raisonnée et efficace. Non, rien de tout ça : ou bien on bloque tout à fond les manettes pour que rien ne sorte de la marmite, ou bien on ouvre brutalement les vannes et la mer recouvre le polder aussitôt.

Il était aussi absurde de crier 10 000 notaires en l’an 2 000 qu’à présent de se réjouir de l’installation de plus de 1 000 notaires supplémentaires en 1 an. Les deux attitudes sont facteurs de discorde, de dysfonctionnement, de déséquilibre. Les deux sont un mauvais service rendu au pays. Avec les responsabilités qui sont censées peser en permanence sur nos frêles épaules, on aurait pu escompter un peu plus de sérénité dans les deux camps. Quand on en a marre du roi, on lui coupe la tête, on lance des pavés, on tape sur les forces de l’ordre, on brûle tout ce qui bouge et tout ce qui ne bouge pas. Quand le dragon garde trop bien un trop beau trésor, les petits hobbits l’attaquent jusqu’à ce qu’ils puissent le tuer.

Paul-Etienne Marcy, notaire à Argentat (Corrèze)