Parmi les plus terribles moments de la Première Guerre mondiale figure la bataille de la Somme, dont on commémore cette année le centenaire. Des notaires et des clercs ont été mobilisés. Certains en sont revenus, d’autres pas. Les notaires de la Somme ont consulté les actes de 1914-1918. Ils sont la mémoire de ces temps difficiles et ont permis de réaliser une plaquette à destination du grand public.

D’août 1914 à l’armistice de 1918, la Somme, c’est le « Verdun » des troupes alliées. Le 31 août 1914, les Allemands entrent dans Amiens. En septembre, commence la course à la mer et déjà une bataille : celle d’Albert. Une guerre de position s’installe pendant des mois, jusqu’à l’offensive de 1916. Le 1er juillet de cette année-là, débute la bataille de la Somme : dans les premiers jours, ils sont 700 000 à tomber. Nos villages deviennent le théâtre de ce conflit que l’on ne sait pas encore mondial. Ils accueillent, bon gré mal gré, les soldats français ou étrangers. Il faut nourrir cette armée, les hommes, les animaux… Il faut s’organiser : l’armée a besoin des hommes, elle les a mobilisés, ils partent loin, mais chez eux, la vie continue. Dans la Somme, il y a aussi des notaires et des clercs. Comme dans toutes les professions, ils ont été mobilisés. Ils sont tombés au champ d’honneur, ils ont été blessés et sont revenus. Et pendant ce temps-là, la vie a continué.

Dans les archives de 1914…

En 2014, le notariat est secoué, le maillage risque de tomber… Nous devons communiquer auprès de nos clients. C’est aussi le début des commémorations du centenaire de la 1re guerre mondiale. Alors, j’ai sollicité les confrères, j’ai enrôlé les notaires honoraires : nous allions fouiller nos archives, expliquer qu' »aller chez un notaire », ce n’est pas comme aller faire ses courses ! Dire que, pendant la Guerre, le notariat samarien a existé, parmi les ruines, les rues encombrées, au son du canon. Chercher les actes des années 1914 à 1918 (même si l’activité des notaires, pendant le conflit, a été ralentie). Aller plus loin encore. Car, après cette guerre, il a fallu reconstruire. Reconstruire les hommes, mais aussi la mémoire. Reconstruire les actes perdus, détruits. Dans cette France dévastée, les études ont été détruites, les actes brûlés. Pour le notaire, perdre les actes, c’est quelque chose d’impensable ! Lors de périodes de conflit, certains notaires se sont organisés pour « évacuer » les actes, les mettre à l’abri. D’autres ont demandé à leurs clients de rapporter à l’étude leurs copies pour reconstituer ces minutes détruites. Ainsi, 400 ans d’actes ont été sauvés !

Une plaquette émouvante

2014 fut une année de recherche. Une année de tri, de rédaction, mais aussi une année enrichissante et émouvante qui a permis de réaliser une plaquette de 4 pages avec des anecdotes tirées de nos actes.

Le 2 août, jour de mobilisation générale, les hommes se préparent à partir. Reviendront-ils ?

Conty, dimanche 2 août 1914. On sonne à la porte du notaire, il est 8 h du matin, sans doute que Me …. prend son petit déjeuner ou bien se lève à peine, peut-être est-il encore en chemise et bonnet de nuit.  Jean veut signer une donation entre époux pour le cas ou il décéderait.

Certains pensent à cette « promise », laissée loin, qu’ils n’ont pas eu le temps de « marier »…

 Amiens, 21 juillet 1915 – Joseph est sous-lieutenant, il est sur le front. Il profite d’une permission à Amiens pour consentir une procuration à Oscar pour aller reconnaître l’enfant naturel qu’attend depuis 8 mois Louise, afin que cet enfant porte le nom de son père.

On règle des successions.

Albert – inventaire- : on aurait dû faire l’inventaire des meubles à Albert, mais la ville est saccagée, impraticable. Alors le notaire se déplace à Dernancourt. Parmi les meubles : un matelas percé par un obus, une échelle, quelques effets personnels…

Ou encore on vend des denrées par adjudication au profit de l’armée

Bray sur somme : 20 décembre 1922. Notoriété après le décès de Désiré, soldat au 245e d’infanterie aux armées, décédé en décembre 1915 dans la Marne, « Mort pour la France ». Il laisse son épouse et ses « enfants mineurs » : Marcel né en 1910, Paul né en 1914 et la petite Eva née en janvier 1916. Désiré n’aura jamais vu Eva…

Il faut reconstruire et nos minutiers sont emplis d’actes établissant la propriété, l’inventaire des biens perdus qu’il va falloir indemniser.

Sailly Laurette, 16 juin 1922 – Marie est veuve, elle habite à Chipilly et elle demande à Me Flour, notaire à Sailly-Laurette de venir faire un constat à son domicile. Avant, elle expose que « par suite de l’occupation de Chipilly, par l’ennemi en 1918, elle a perdu son mobilier par faits de guerre. Elle a pu obtenir de la part de l’État une avance sur indemnité de dommages de guerre, représentative de la perte de son mobilier, mais elle a omis de conserver des justificatifs de ces achats, comme la loi du 17 avril 1919, (postérieure à ces achats), le requière. Le notaire constate, dans un inventaire digne de Jacques Prévert, le mobilier et les effets de cette femme : un poêle et ses tuyaux pour 75 Frs, 2 mouchoirs de tête 10 frs et 10 mouchoirs de poche pour 9 frs, une paire de souliers pour 25 frs, et une paire de galoches pour 10 frs, un corsage et un jupon pour 15 frs, mais aussi chemises, marmite, casseroles, 6 assiettes et 4 bols, un matelas usagé, un buffet, 2 paires de draps en coton…

Cette plaquette a été traduite en anglais et en allemand, et elle est à la disposition des visiteurs des sites de mémoire. En faisant mes recherches, j’ai constaté que dès le 4 août 1914, la Chambre des Députés se réunit à Paris, elle vote différents textes sur l’organisation de la guerre et le budget, mais dans les premiers articles (le remplacement des officiers publics mobilisés !), il faudra deux lois et quelques décrets pour que le remplacement soit fait. Il faut aussi une ordonnance du juge, mais les juges aussi sont mobilisés, et il faut les remplacer… Les anciens notaires sont « réquisitionnés, les clercs de notaires aussi.

Et les minutes ?

Celles de Flins ont été retrouvées dans une tranchée allemande, celles de Miraumont ont brûlé dans l’incendie de l’étude où notre confrère a également trouvé la mort. Dès le 26 décembre 1914, une loi est adoptée, le 15 décembre 1923, une autre loi est votée relative à la reconstruction des actes et archives détruits dans les départements par suite des évènements de guerre. L’article 7 de la loi de 1923 stipule :

« Lorsque le titre original a été perdu ou détruit par suite d’évènement de guerre, les copies font foi d’après les indications suivantes : les copies font la même foi que l’original quand elles ont été délivrées par l’officier public ou ministériel. Ces copies remises au notaire, qui seront annexées à un acte de dépôt ou retranscrites par lui dans un acte, auront donc la même valeur. »

Voici donc la contribution des notaires de la Somme au devoir de mémoire et au centenaire de la 1re guerre mondiale.

CLOTILDE photoClotilde Palot