D’abord, et avant tout, le notaire est un être humain, de sexe indifférent mais de préférence doté d’un cerveau bien fait, et relativement plein. Il me paraît difficile de le remplacer par un être artificiel au cerveau électronique, en tout cas pour l’instant et pour un certain temps.

Ce n’est pas que j’aie quelque chose contre les notaires cybernétiques, mais je n’ai rien pour, d’autant, sauf erreur, qu’il n’en existe aucun, et que leur avènement n’est pas pour demain, ni même je l’espère pour après-demain. Humain donc avons-nous dit. Au sens propre, comme au sens figuré. En d’autres temps, nous avions tenté dans le cadre d’un congrès du Syndicat de définir le notaire du futur, et comme ces temps remontent à plus de 20 ans, on pourrait légitimement espérer que le notaire idéal de notre présent ait déjà évolué vers cette définition…

Les pieds sur terre,

Le cœur sur la main,

La tête dans le cyberespace,

Ainsi définissions nous le notaire « de demain »

Et comme le demain d’hier c’est aujourd’hui, qu’en est-il de cette définition ?

• Les pieds sur terre ? J’en doute de plus en plus…Le notaire d’aujourd’hui me semble crédule, détaché des réalités, il joue aux cartes pour s’aider à réfléchir, attend que les réponses viennent d’en haut, de la « Tour », et ne veut surtout pas entendre ce qui pourrait le déranger dans son optimisme béat…

• Le cœur sur la main ? Certains, sans doute, mais de moins en moins nombreux, car le mercantilisme gagne, et l’esprit de service s’y dissout progressivement…Et puis, lorsque l’Etat fait la charité en vous volant votre portefeuille, il faut être sacrément détaché pour accepter encore de prendre en charge ces « petits actes » qu’aucun « gros acte » ne vient jamais suffisamment compenser, et même les plus convaincus commencent à penser qu’une obligation d’instrumenter à lourde perte (un bénévolat obligatoire à titre onéreux) est une charge trop lourde pour leurs frêles épaules, surtout lorsqu’ils voient « se gaver » les nombreux parasites « indispensables » qu’on a créé ici et là au gré des législations « protectrices »

• La tête dans le cyberespace ? Tous le prétendent, et tous s’en donnent à cœur joie pour afficher une technophilie convaincue…On « jette l’encre dans le numérique » comme la seiche en détresse pour masquer sa fragilité et mieux couvrir sa fuite ? Mais combien sont réellement lucidement connectés, conscients à la fois des bienfaits et des risques de leur activité technologique ? On se lance dans la legaltech (qui n’est jamais qu’un outil de plus, mais qu’on présente comme une révolution) on intitule « Good Bail » un site supposé faire venir à nous la clientèle, mais on peine encore à utiliser les outils basiques…

Bref, on voudrait, une fois de plus, l’ « unité » de la profession, comme si la clientèle et la géographie auxquelles répond notre activité était unique, standardisée…Et ce n’est absolument pas le cas ! De Gaulle l’avait bien dit «  »Un pays qui produit 365 sortes de fromages est ingouvernable », et depuis les choses ne se sont pas arrangées, puisque les crêmiers professionnels eux même s’avouent incapable de trancher…1.600 ? 3.500 ? C’est la multiplication des fromages !

Alors, si on veut répondre à cette diversité fromagère, si on en revient aux fondamentaux énoncés par Pierre-François Réal, il n’est qu’une conclusion possible : Le notaire idéal, c’est le mien, c’est celui que je choisis.

Or, cet idéal là n’est pas accessible à tous…

Bien sûr, on tente d’établir un maillage, un quadrillage complet du territoire, mais cela revient à dire que les notaires sont interchangeables, et ce n’est, de toute évidence pas le cas…

Pour que le notaire idéal puisse être choisi, il faut repenser fondamentalement notre profession…Et ces remaniements profonds, curieusement, ne sont pas si éloignés des slogans ayant précipité notre profession dans le macronisme…

Pour que le notaire idéal existe, il faut que tous ceux qui ont les compétences nécessaires (et donc ce fameux diplôme indûment baptisé « de notaire ») puissent s’établir et exercer leur « art », dans des conditions relativement analogues.

Pour que le notaire idéal existe, il faut que tous les notaires reçoivent effectivement leurs clients, et puissent leur apporter la plénitude de leur compétence. A défaut, autant parler du clerc idéal, et dans ce cas, à quoi bon distinguer notaires et clercs ?

Pour que le notaire idéal existe, il faut que tous les notaires aient effectivement accès dans des conditions relativement équivalentes aux meilleurs outils, et qu’il n’y ait pas ou peu de différence entre les moyens intellectuels et technologiques mis à leur disposition. Tous les outils de la profession devraient donc être :

– payés par les cotisations s’ils sont obligatoires et non rémunérateurs (réseau REAL, fonctionnement de base de tous services collectifs)

– payés à proportion de l’usage lorsqu’ils sont utiles et rémunérateurs (accès aux données MIN, réponses des CRIDON).

– payés par les volontaires lorsqu’il s’agit d’expérimentations.

Les lubies personnelles et créations de quelques notaires n’ont pas à être financées par la collectivité tant que celle-ci n’a pas jugé de leur pertinence et de leur intérêt.

Nous n’avons que trop financé de jouets inutiles.

Pour que le notaire idéal existe, enfin, il faut que l’obligation d’instrumenter devienne une règle réellement contraignante, ce qui suppose que les plus petites affaires soient revalorisées pour que tout notaire remplisse son devoir sans forcément se vider totalement les poches…Et c’est probablement ce qui empêchera à jamais le notaire idéal d’être à la portée de chacun…

Le miséreux qui vient confier sa petite vente ou succession à un « Grand Notaire » se voit souvent éconduire (ou on temporise jusqu’à ce qu’il perde patience) et il doit se « rabattre », en désespoir de cause sur le premier qui acceptera, fut-il très loin de son idéal.

Ce notaire idéal, s’il se trouve exister dans une contrée géo/économiquement défavorisée se verra vite ruiné par l’afflux des clients satisfaits de son service, et devra à son choix renoncer à l’idéal ou mourir pour la gloire de Ventôse…

Seul un tarif linéaire côté client et une rémunération proportionnelle à minimum décent côté notaire permettrait d’atteindre -parfois- l’idéal. Le client sachant qu’il peut choisir n’importe quel notaire sans qu’il y ait la moindre différence sur la facture finale choisirait lucidement celui qui lui semble idéal. Le notaire qui approcherait, à défaut d’atteindre cet idéal rêvé n’aurait pas à souffrir d’une multiplication des affaires non rémunérées, et pourrait se donner à plein sans penser au lendemain, remplissant avec honneur, probité et efficacité sa fonction d’Officier Public de Plein Exercice…

Ce tarif, nous le proposons pourtant, nous, les « volontaires », depuis près de 60 ans…Pompadour Jeune Notariat, puis le Mouvement Jeune Notariat et la revue Notariat 2000, ainsi que le Syndicat National des Notaires, mais aussi l’Assemblée de Liaison, et d’autres encore, individuellement ou par petits groupes…Tous y ont réfléchi. Tous ont fait des propositions. Aujourd’hui Res-Iste, a fait la synthèse de toutes les voies et propose une vue d’ensemble de la question. Mais un obstacle infranchissable se dresse entre la théorie et la pratique du sujet. Si le notaire idéal existe, si le modèle tarifaire idéal existe, nous ne devons déplorer qu’une seule chose : notre gouvernance, elle, est bien loin d’être idéale…

Pour qu’une proposition de cet ordre puisse être comprise de tous, et analysée en tous points avant d’être diffusée complètement, il faut, et il suffit, qu’accès soit donné à l’intégralité des chiffres de la profession.

Il ne s’agit pas de statistiques, pas d’empirisme et d’à-peu-près…Mais d’une simulation grandeur nature sur chiffres réels extraits de nos comptabilités nécessairement sincères et interopérables.

Mais les « puissants » et leurs « serviteurs zélés » qui craignent (à tort) pour leur confort l’ont bien compris, au point de le clamer narquoisement en ces termes sur les réseaux sociaux alors que nous leur tendions une dernière fois la main :

« Mais c’est vrai que sans chiffres la démonstration est compliquée…C’est ballot ! »

Entendez-vous, notaires qui tendez vers l’idéal, clients qui rêvez d’être idéalement servis « on » a décidé pour vous…

Et ça, c’est vraiment « ballot » !

Didier Mathy, notaire à Sagy (Saône-et-Loire)