Abraham Lincoln avait-il tort de dire « On peut tromper une partie du peuple tout le temps, et tout le peuple une partie  du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps » ? En l’appliquant aux services développés par les instances pour le notariat, on pourrait effectivement avoir des doutes. Peut-être même est-on allé bien au-delà de l’invraisemblable : les prétendus dirigeants de la profession ont réussi (et c’est ce qui leur vaudra notre indulgence… enfin, peut-être !) à tromper longtemps tous les notaires, y compris eux-mêmes !

Prudence et tradition
Il n’y a pas si longtemps, un notaire exerçait une fonction, sous délégation de l’État, et se soumettait avec abnégation à diverses contraintes techniques… Il fallait parfois des décennies pour qu’un progrès technique lui soit accordé :

  • 1829 – William Austin dépose, aux États-Unis, un brevet pour une machine à écrire sommaire mais fonctionnelle.
  • 1896 – Commercialisation effective de la machine à écrire en France.

Dans le rapport du Congrès National de RENNES et SAINT MALO 1909, on pouvait lire « L’écriture ordinaire, entendez manuscrite, paraît seule satisfaire à l’exigence de la loi de Ventôse, prévoyant que les actes doivent être écrits lisiblement ».

Ce n’est qu’en 1926, soit 97 ans après son invention, que la machine à écrire fut autorisée aux notaires ! 

À l’époque, le notariat était réellement une grande école de patience, on prenait le temps de s’assurer qu’aucune imprudence fâcheuse ne serait reprochée ensuite à ceux qui assument, personnellement, la garantie de l’efficacité et de la conservation de leurs Actes Authentiques…

Mais la patience est passée de mode, et il faut bien reconnaître que tout n’a pas toujours parfaitement fonctionné malgré toutes les précautions… Des matériels agréés ont parfois failli à leur mission !

Unitarisme et « modernitude »
Et soudainement, on a cessé d’imposer des agréments gouvernementaux. Le Conseil Supérieur du Notariat a été (s’est ?!) chargé d’une nouvelle mission : déterminer souverainement ce qui était bon pour les notaires.

Il faut dire que certains alors – notamment le fondateur de notre petite revue et du mouvement Jeune Notariat – s’étaient empressés avec un certain succès de développer divers services, et qu’un vent d’innovation soufflait… Le CSN s’est s’emparé des questions techniques, choisissant les « partenaires solides » gérant les financements avec « bon sens » et d’un « bel élan », les organismes volontaires furent progressivement asservis, les prestataires « écrêmés »… Les rares créations volontaires se heurtaient à la puissance (et à l’inertie) des structures régaliennes, la propagande a fait le reste. Tout devait venir d’en haut.

L’UGNF-SNN (Syndicat National des Notaires) avait-elle finalisé un projet de réseau notarial assorti d’une architecture de chiffrement agréée par la DGSSI ?! On créa l’intranet, en signant des contrats lésionnaires (dont celui qui nous condamne à payer 2,60 € ht par mois des boîtes à lettres e-mail de faible taille et sécurité) et on commença à en vanter la sécurité… Et le bon peuple notarial (élus en tête) crut dur comme fer qu’il n’y avait aucune autre solution. Le réseau était cher ? C’était le prix de la sécurité ! Il était lent ? C’était en raison de la sécurité… Il avait « le mérite d’exister », et permettait de « faire figure d’interlocuteur valable auprès de la Chancellerie et des notariats étrangers ». Même si quelques notaires faisaient « bande à part », ça ne remettait pas en cause « l’esprit de corps » (jusqu’en 1999) la « cohésion » (jusqu’en 2008), « l’unité » (jusqu’en… Ben, maintenant !) que « les autres nous envient et qui nous ont permis de sauver « la profession » de toutes les attaques ».

Libération ?
Mais voilà que tout s’effondre… Est-ce parce qu’une trentaine d’irréductibles gaulois n’ont pas accepté de se voir priver par une société commerciale de la signature électronique qu’ils détiennent au nom de l’État ? Est-ce parce que l’Autorité de la Concurrence, mal remise d’avoir été toisée de haut cherche vengeance ? Nul ne sait, mais, soudain on « ouvre à la concurrence »… Et ce qui devait arriver arriva…

REAL.NOT devenu un prestataire ordinaire, flanqué de deux « concurrents », offre aux notaires un nouveau bouquet de connexions, avec de jolis noms se terminant par I.T., nous ramenant aux réalités… AbsurdIT sans nom, l’une des offres, dénommée UnIT, correspond en tous points à ce que les râleurs demandaient (mais est très en dessous de ce qu’ils souhaitent, les râleurs progressant en même temps que les technologies), ce qui démontre évidemment que la demande qu’on refusait de satisfaire depuis des décennies n’était pas si infondée.

Malheureusement « l’ouverture du marché » ne facilitera pas la vie des notaires. Difficile pour un non spécialiste de savoir se déterminer entre les offres, surtout lorsqu’on lui donne à peine un mois pour décider, et nombreux sont ceux qui tomberont de Charybde en Scylla…

Une fois encore, on ne peut que s’interroger… Si on peut aujourd’hui accéder au réseau par un VPN « en dur » en utilisant le prestataire de son choix, qu’est-ce qui justifiait la contrainte passée ? Et pourquoi, dès lors, n’a-t-on pas plutôt choisi une solution « unitaire » financée équitablement par les cotisations qui aurait donné à tous le fameux boîtier permettant l’accès au « cœur de métier » en laissant à chacun le choix du ou des prestataires d’accès internet ? Toujours une volonté de contrôle ?

REAL 3 a peut-être vécu, mais « ONLECHE » (L’équivalent notarial d’ ECHELON pour la NSA) demeure, n’en doutez pas ! Il nous faudra encore attendre un peu pour la VérIT du service…

 

Didier Mathy
Notaire à Sagy (71)