Jean-François Humbert, notaire parisien, est le nouveau président du Conseil supérieur du notariat (CSN). Il nous dévoile son programme, sa vision du notariat et nous fait part de ses convictions. Interview.
Quels sont les axes principaux de votre mandat ?
Je souhaite travailler autour de 3 axes bien précis :
- le premier est le renforcement de l’identité notariale. L’unité me paraît une valeur fondamentale avec la nécessité d’intégrer l’ensemble des notaires quels que soient leur parcours, leurs modalités d’accès, leur statut, qu’ils soient créateurs, salariés, associés. L’identité du notariat, outre l’unité, implique également sa présence sur l’ensemble du territoire, ce que nous appelons « le maillage ». Il faut veiller à ce que, en individuel ou dans le cadre de réseaux pluriprofessionnels les notaires restent présents sur l’ensemble des agglomérations, c’est leur identité propre. L’identité c’est aussi la gouvernance de la profession avec une réflexion qui sera engagée très rapidement sur la représentativité des instances. Sans doute faudrait-il augmenter le nombre de délégués de Cour, de représentants de telle sorte que toutes les sensibilités et toutes les modalités d’exercice soient bien représentées !
- Le deuxième est l’axe de développement de notre profession. C’est impératif dans la mesure où nos effectifs ne cessent de croître : 9 500 notaires il y a 3 ans, 13 000 aujourd’hui, 15 000 demain. Il faut donc nécessairement que nous diversifions nos activités : dans le conseil, la médiation, dans l’international. Il faut que nous suivions nos clients lorsqu’ils vont à l’étranger pour les conseiller. Ce développement est la survie de notre profession.
- Enfin, le 3e axe est la prospective. Nous devons réfléchir et travailler à ce que sera notre profession dans 10 ans. Cela suppose de revoir complètement notre formation initiale. La réforme de la formation est en cours. Il faut envisager que nous puissions éventuellement avoir des spécialistes à l’intérieur de notre profession. La prospective, le futur c’est l’outil numérique, notamment avec l’utilisation de l’intelligence artificielle, des chatbots, avec le déploiement aussi de l’acte à distance. Cela devrait permettre aux notaires, je pense en particulier en zone rurale, de continuer à exercer en recevant des actes sans la comparution physique de leurs clients, mais par visioconférence.
Quels conseils donneriez-vous à tous ces nouveaux notaires qui arrivent sur le marché ?
Ils peuvent s’inspirer de ce que les avocats ont vécu dans les années 70 lorsqu’il y a eu une très forte croissance des effectifs. Les avocats nouvellement installés se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas, qu’ils ne devaient pas ne faire que ce que leurs prédécesseurs réalisaient comme tâches. C’est ainsi qu’ils sont allés découvrir des territoires à l’époque inexplorés, des conseils dans de nouvelles branches, telle la franchise… et les avocats se sont considérablement développés. Nous, notaires, devons faire pareil. Nous devons comprendre qu’il ne faut pas exclusivement faire du droit immobilier, du droit de la famille même si c’est important bien sûr… Mais il ne faut pas hésiter à faire également du droit international privé, du droit public et aller vers de nouvelles branches. Dans toutes les sociétés développées, notamment en Occident, la demande de droit s’accroît. À nous de savoir saisir ce qui peut être tenu pour une opportunité.
Pourquoi, selon vous, les notaires ne prennent-ils pas davantage le virage de la négociation immobilière notariale, très peu connue en France ?
La négociation immobilière fait partie des activités du notariat depuis toujours. Pour autant, elle ne peut se concevoir que dans le respect de l’identité du notariat. C’est une activité nécessairement accessoire, c’est-à-dire que c’est à l’occasion d’une mutation, d’une vente que les notaires peuvent faire de la négociation. En revanche, le notaire ne peut pas, comme un agent immobilier, aller démarcher des mandats. Lorsqu’il intervient pour effectuer une négociation immobilière, il rédige ou participe à la rédaction de l’acte de vente, il ne peut pas se contenter de faire de la négociation alors que les acquéreurs ou vendeurs ne sont pas ses clients. De même que le notaire, de par son statut, doit nécessairement respecter certaines règles en termes de publicité. Il ne peut pas profiter de la négociation immobilière pour faire une publicité plus générale sur son activité professionnelle. Il est tout à la fois un professionnel libéral et un officier public donc si l’activité de négociation immobilière est parfaitement légitime et a toujours été réalisée, elle doit l’être dans le respect de ce qu’est le notaire et de son statut.
Cette activité ne se développe pas davantage pour plusieurs raisons : parce que certains notaires ont fait le choix de ne pas l’exercer considérant que cela nécessite des compétences particulières qu’ils n’ont pas. Il y a aussi des raisons historiques : il y a des régions où l’on négocie davantage que dans d’autres comme l’Ouest de la France. Pour autant, c’est une activité qui mérite d’être développée dans le respect de ce que sont les notaires pour ceux qui en auraient la volonté et le talent.
Un décret sur la sollicitation personnalisée va bientôt être examiné par le Conseil d’État et promulgué.
Pensez-vous que ce soit une bonne chose, en 2018, que les notaires n’aient pas le droit de faire de la publicité personnelle, et est-ce que cela pourrait ou devrait évoluer ?
Les notaires ont le droit de communiquer et ne se privent pas de le faire, notamment via les réseaux sociaux. Ils peuvent utiliser Twitter, Facebook, Linkedin et ils ont le droit de faire connaître ce qu’ils savent faire.
Ils ont aussi le droit de se faire connaître en mettant en avant leurs talents, en participant à des salons, des conférences, des congrès.
Enfin, un décret sur la sollicitation personnalisée va bientôt être examiné par le Conseil d’État et promulgué. Que manque-t-il ? A-t-on besoin de faire une communication de masse pour faire savoir que l’on existe ? Les avocats ont le droit de faire de la publicité et ils n’en font pas, sans doute parce que c’est très onéreux par rapport à ce que cela pourrait rapporter. Il ne s’agit pas de vendre un produit standard, il s’agit de mettre à la disposition de sa clientèle une prestation de services et une compétence particulière et ce n’est pas la communication de masse qui permet de le faire savoir et de détourner le comportement du consommateur. Il ne faut pas trop fantasmer sur ce qu’apporterait la publicité dans la prestation notariale. En outre, le notaire, dans ses opérations de communication, est obligé de respecter ce qu’il est, par exemple ne pas communiquer l’identité de sa clientèle.
Quand le décret sur la sollicitation personnalisée sera promulgué, je demanderai à une commission du Conseil supérieur du notariat de redéfinir très clairement les règles entre ce qu’il sera possible de faire et ce qui ne le sera toujours pas compte tenu du particularisme de la fonction notariale.
Si vous aviez le pouvoir de changer quelque chose dans le notariat, qu’est-ce que ce serait ?
Ce serait très certainement ce que j’ai redemandé dernièrement, et à plusieurs reprises : revoir les règles totalement iniques qui président à l’établissement de notre tarif, en particulier pour les opérations de tout petit montant et supprimer cet écrêtement. Il ne résulte absolument pas de la loi mais d’une décision du pouvoir réglementaire. L’écrêtement, c’est même la négation de ce que prévoit la loi quand elle indique que la rémunération du notaire doit correspondre au coût d’établissement de l’acte majoré d’une rémunération raisonnable.
Une des justifications du tarif, outre l’égalité d’accès, est la péréquation. Le notariat n’a jamais remis en cause la notion de péréquation qui fait que la moitié de ses actes sont déficitaires. Il n’en demeure pas moins que l’accord sur la péréquation ne va pas jusqu’à devoir établir des actes de vente qui demandent 15 ou 20 heures de travail avec une absence totale de rémunération. Cela ne se rencontre nulle part dans notre pays et est la négation de notre qualité de professionnel libéral. Tout professionnel libéral doit pouvoir recevoir la juste rémunération pour l’activité qui est la sienne d’autant qu’il a des frais de structure. C’est le système dans son ensemble qui est complètement vicié. Cette mesure va à l’encontre même des intérêts de la clientèle.
Depuis quelque temps, beaucoup de startups émergent sur le marché et proposent des services digitaux aux notaires. Pensez-vous que ce soit une bonne chose ?
Au contraire du Barreau, le notariat n’a jamais émis de réserves sur les startups, au contraire. Il nous semble que ces nouvelles structures peuvent nous apporter en ingéniosité, et répondre à des besoins qui sont les nôtres. Nous souhaitons utiliser leurs services et surtout ne pas les combattre. Et c’est dans ce cadre-là que le Conseil supérieur du notariat, dans son assemblée générale de juillet 2018, a voté le principe d’une charte éthique consistant à informer ces startups que celles qui accepteront de signer cette charte éthique pourront revendiquer un label.
Ce qui est demandé à ces startups c’est,
- d’accepter de travailler sur des normes d’inter-opérabilité, et faire en sorte que les produits qu’elles mettent à la disposition des études soient compréhensibles par d’autres structures.
- Deuxièmement, respecter le libre choix du notaire par le client et ne pas imposer un notaire correspondant qui serait obligatoirement celui à qui l’on devrait s’adresser.
- Troisièmement, ne pas vendre des listes ou des informations nominatives de telle sorte que les données recueillies à cette occasion ne puissent pas être cédées parce que l’on saurait que telle personne possède tel patrimoine, tel bien immobilier ou telle somme en banque qui serait disponible
Dès lors que la startup s’engage à respecter ces trois points, après vérification, cela lui permet de disposer de l’annuaire de l’ensemble des notaires de France L’appel que je pourrais faire en tant que président du Conseil supérieur du notariat, c’est de dire à mes confrères « travaillez prioritairement avec ces startups qui se sont engagées à avoir des normes qui vous permettront d’échanger entre vous et qui garantiront le secret professionnel, parce que les informations ne seront pas vendues ».
Un nouvel outil de prise de rendez-vous en ligne va bientôt être proposé sur le site notaires.fr. Certaines startups proposent aussi cette prestation. Qu’en pensez-vous ?
Là encore, ce qui est important est que cet outil participe de l’accessibilité du notaire de telle façon que le client puisse prendre rendez-vous avec son notaire. C’est d’autant plus indispensable que parmi les notaires créateurs récents, les trois quarts n’ont aucun personnel salarié. Mais, en même temps, l’outil de prise de rendez-vous en ligne doit nécessairement respecter et garantir le secret professionnel. La confiance qu’un client peut avoir en un professionnel est extrêmement fragile et donc il faut la mériter et la respecter et faire en sorte que ce qui est confié au professionnel reste entre le client et le professionnel.
Est-ce que vous pensez qu’il est plus difficile d’être notaire aujourd’hui plutôt qu’il y a 30 ou 40 ans ?
Non, toutes les périodes ont eu des difficultés. Au contraire, aujourd’hui il y a des méthodes de travail passionnantes qui permettent de se dispenser d’un grand nombre de tâches matérielles. Nous avons des outils technologiques qui permettent de revenir à la réalité de la fonction, au conseil. Je crois également que l’image du notaire est plus affirmée aujourd’hui qu’elle ne pouvait l’être il y a 30 ou 40 ans. Sa valeur ajoutée est reconnue. Les Français reconnaissent l’utilité du notariat à telle enseigne que dans le monde, le notariat se développe considérablement.
Que pouvons-nous vous souhaiter ?
J’espère voir la profession se développer, c’est ma seule ambition. Que mes confrères se développent et soient pleinement reconnus dans le service qu’ils apportent à nos concitoyens : c’est pour cela que j’ai accepté certaines fonctions.
Nous sommes la seule profession de droit qui a la chance de ne pas devoir intervenir pour trancher des litiges. Profitons de cette chance qui est la nôtre pour nous développer. Il faut souhaiter que dans deux ans, les 14 ou 15 000 notaires qui exerceront en France le feront sans difficulté, en s’adaptant, en travaillant peut-être différemment de nos prédécesseurs, et que notre profession poursuive le développement qui est le sien depuis quelques décennies.