Étrange sensation que de se retrouver d’un coup à l’opposé absolu de ce que l’on vous reprochait hier encore d’être… Sans (vraiment) bouger, on peut parcourir des milliards d’années (pas) lumières et même changer d’univers en une nanoseconde… Il suffit d’une phrase pour ce faire, quelques mots seulement, prononcés par un «jeune» sorcier telle une formule magique pour se débarrasser d’un importun. C’est certainement la méthode la plus efficace décidément que de s’en prendre à l’âge réel ou supposé de l’adversaire, tellement plus facile que d’étayer les raisonnements, tellement plus commode que de construire des arguments…
Oh bien sûr, je m’attendais à cette transition, et m’y étais préparé, mais aucune préparation ne peut éviter le vertige ressenti dans un tel déplacement… Je l’avais même écrit, ici et là, peut-être même dans ces pages… Ce qui m’a toujours dérangé dans le fait de passer pour un «jeune con», c’était la crainte de devenir un «vieux con» sans même avoir droit à une période de transition en tant que « con d’âge moyen »… Quoi ? Vous êtes choqués par le mot ?! Mais voyons, c’est simplement un acronyme ! «Collaborateur d’Office Notarial» d’abord, puis «Chargé d’Office Notarial», nous le sommes tous, et devrions être fiers de l’être !
Mais que s’est-il donc passé ? Alors que je venais à peine de me faire dire encore (à l’échelle de l’univers s’entend) que « je manquais d’expérience » et que je « comprendrai plus tard », par un aimable nommélu (flatteur ou malvoyant) auquel j’avais alors révélé que j’étais dix ans plus expérimenté que lui, voilà-t-y pas qu’un adulescent (dans l’esprit au moins) adepte des réseaux sociaux et de la co-construction bienveillante me proposait aimablement de terminer tranquillement ma carrière sans trop me préoccuper de ce qu’il considérait comme l’avenir inévitable de notre profession, enfin la sienne parce que moi, j’étais manifestement un has-been rétrograde…
Cette flèche, tirée de face, ce qui est appréciable, qui a dû percuter dans sa course le bout de la lame d’un des innombrables poignards confraternels qui me hérissent le dos, n’a pas, en tout cas, atteint son objectif… Pas plus que celles, émoussées par des années d’usage, d’être « actionnaire d’une société commerciale », « enfermé dans l’esprit notariat 2000 » et autres affirmations gratuites laissant entendre que je ne le serais pas…
Serions-nous irrémédiablement voués au rebut de l’Histoire ? Le Notariat en tant que tel aurait-il vécu, même et y compris aux yeux de ses membres les plus actifs dans la défense de ses valeurs ? Après avoir « dématérialisé » l’acte authentique, alors que « nous » (enfin, eux, qui se disent nous) dématérialisons la réception, ne serait-on pas en train (celui qu’il faut prendre pour ne pas rester sur le quai) de désintégrer le Notariat ?!
Le Notariat a eu sa préhistoire (avant l’apparition de l’écriture), il vit les derniers temps de son histoire (avant la disparition de l’écrit matériel), certains parmi nous semblent ne lui accorder aucun avenir, et se proposent de le dissoudre dans le bain d’acide sulfurique du Code de commerce, parce que c’est « le sens de l’Histoire ».
Mais l’Histoire ne porte de majuscule qu’après que des historiens autoproclamés aient tiré de l’interprétation de documents et archives ce qu’ils considèrent être la Vérité de notre passé… Et puis on demande à nos chères petites têtes blondes.rousses.brunes.indéfinissables (écriture inclusive augmentée, pardon !) d’apprendre par cœur et de réciter sans faille la version sur laquelle s’est arrêté le choix des puissants car, comme le disait Napoléon, tandis qu’il l’écrivait au quotidien : » l’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord ».
Quand elle se vit, l’histoire n’est pas encore contée, et c’est pour cela que chacun compte encore, mais une fois la version officielle diffusée, toute remise en cause est un combat de longue haleine dont on peut, du reste, mettre en doute l’utilité… À quoi bon ressasser ce qui n’est plus, si ce n’est pour en tirer des leçons ?!
Donc, à en croire les passionarias des réseaux sociaux, l’avenir c’est eux et eux seuls car nous sommes dans des « camps retranchés » qui refusent de diffuser la diversité…
OK…
Prenons, en toute objectivité, l’exemple de Facebook :
Tu es comptable taxateur si…: 4532 membres
Tu es notaire ou clerc si…: 26.394 membres
Réseau immobilier notaires : 428 membres
Notariat groupe d’entraide et partage : 3.628 membres
Tu es comptable taxateur si «groupe libre» 1.004 membres
Assemblée de liaison 2019 : 178 membres (mais réservé aux notaires)
Tu rédiges avec Authentic : 967 membres
Réseau immobilier notaires : 428 membres
Notaires conseils en immobilier : 232 membres
On pourrait être impressionné par le groupe le plus important… 26.394 membres, sur 70.000 bon poids, c’est un impressionnant pourcentage ! Mais la lecture des échanges de ce groupe révèle très vite qu’il ne comprend pas, loin s’en faut, que des membres actifs de la profession… Le contrôle à l’entrée laisse quasiment tout passer !
Est-ce à dire que la vérité serait plutôt du côté des 3.628-4.352 membres ?
On pourrait le croire, mais encore faut-il distinguer ce qu’est un «membre» : quelqu’un qui a demandé à entrer, a obtenu un pass, et « est là » ? Mais si certains s’expriment beaucoup dans de multiples groupes, la majorité, ici comme ailleurs, reste silencieuse, et rien ne permet donc de quantifier sa réelle implication.
J’ai bien peur, mais je suis un vieux con, que la vérité ne soit située plutôt aux alentours des 1.000 actifs.
Bien sûr, les autres sont certainement sur les réseaux sociaux, mais pour les photos de chats, les vidéos, ou pour montrer au monde entier ce qu’ils mangent ou boivent et à quel point leur vie est exaltante, et ceux-là sont comme des butineurs ; ils ne font que passer, et ils sont déjà en train de remplir leur profil sur le nouveau réseau parce que Myspace est mort, Facebook dépassé et Instagram tout juste acceptable…
Reste que ces réseaux dits « sociaux » ne sont que le reflet des réseaux humains de toute sorte ! Le « pair à pair », pour séduisant qu’il soit sur le principe, ne fonctionne jamais réellement.
Il y a des « seeders » qui apportent beaucoup, des « leechers » qui se servent sans vergogne, et bien peu, finalement, d’authentiques « peers » qui jouent le jeu et partagent à équilibre avec ce qu’ils prélèvent…
Mais, et sans doute est-ce là le « sens de l’Histoire » : tout réseau cloisonné est générateur d’appartenance, d’ «esprit», on est entre-soi, on ne peut pas, on ne veut pas s’ouvrir, et on cherche des prétextes pour ne pas trouver de solutions (les autres sont fermés, puisqu’ils ne sont pas ouverts sans réserve à nos idées… L’histoire est bien là, mais ce n’est pas celle de l’humanité, c’est une histoire qui remonte à mon passé médiéval, avant les ordis, avant les réseaux sociaux…
Un fou a escaladé le mur d’enceinte de l’asile et regarde dans la rue du haut de son perchoir. Arrive un passant, et tandis qu’il longe le mur celui-ci entend le fou lui crier « Eh, Monsieur, excusez-moi, vous êtes nombreux là-dedans ? »
La question est bien celle-là : qui est du bon côté du mur ?! Vous le percevez, le sens de l’histoire ? Il est peut-être temps d’ouvrir les portes dans toute la maison notariat pour favoriser l’harmonie, plutôt que d’édifier sans cesse de nouvelles cloisons au nom de l’Unité.
D. MATHY.