C’est mardi… et voici un nouvel épisode de notre feuilleton « Le Notariat, l’inventer comme s’il n’existait pas » entamé fin janvier. Cette semaine, nous vous proposons un gros plan sur les « Principes de tarification du service d’intermédiation du droit ».
Pour être pérenne, le corps des professionnels d’intermédiation du droit ne doit pas dépendre financièrement du budget de l’État. Service public sans déficit public, les officiers notariaux se distinguent des fonctionnaires et des services publics dont ils sont chargés par l’absence de ponction sur le budget de l’État. Si l’on s’attache ici au cas particulier de la régulation des titres de droit, il va de soi que la même approche pourrait être suivie pour d’autres secteurs de sphère publique confiée à l’administration privée, dont l’officier notarial pourrait devenir le modèle d’organisation. Dans la même perspective de pérennité, le corps des professionnels de la sphère intermédiaire du droit ne doit pas dépendre non plus d’une logique financière purement concurrentielle. Lorsqu’on réalise un traitement privé d’intérêts publics ou au contraire la mise à disposition publique de situations privées, une telle activité ne peut pas viser un deuxième but, certes louable, consistant à maximiser le profit tiré de l’activité. Il faut savoir ce qu’on veut et en cas de conflit d’intérêt entre la mission de régulation et la maximisation financière, l’organisation du bien vivre en société ne peut pas être dépendante de l’une des deux dimensions seulement.
En vogue mais inappropriée
Ainsi la notion de service universel en vogue pour réguler la tarification des services publics est inappropriée ; on s’en rend spécialement compte en matière notariale où le coût libéralement fixé pour les prestations mènerait à une impossibilité de rémunérer les petits actes. Même si cela semble aller de soi, on notera que le service prodigué par les professionnels dans cette 3e sphère du droit ne peut pas être délivré gratuitement. Il faut en effet permettre le financement des moyens de production du service et l’attractivité de la profession qui en assume la mission tant pour le renouvellement des générations de professionnels, que pour les perspectives de trouver dans l’exercice les moyens de financer la cessation d’activité. Puisqu’il faut un financement qui se doit d’être sans ponction sur le budget de l’État ni jeu de l’offre et de la demande, ce financement de l’officier notarial ne peut reposer que sur un tarif. Un tarif est la définition publique et préalable du coût de prestations professionnelles. Défini par les Pouvoirs publics, il est payé par les usagers au professionnel à l’occasion de la réalisation de chaque prestation.
Difficulté d’établir un tarif
Toute la difficulté consiste pour un métier en rapport avec des millions de personnes, situées sur tout le territoire et relevant de tout l’éventail social, à définir un tarif qui soit à la fois juste (permettant à chacun d’accéder au service) et habile à assurer le développement économique des entreprises qui ont reçu par délégation de service public la mission de produire ces prestations. En effet, ces deux objectifs peuvent entrer en contradiction l’un avec l’autre : par exemple, pour réaliser l’acte d’une vente immobilière portant sur un prix de 1 000 € et sa publicité, il sera utilisé environ 20 heures de travail. En admettant un coût horaire de 50 €, on obtiendrait une rémunération de l’entreprise assurant le strict minimum financier pour sa survie (1 000 €), alors que pour le bénéficiaire de la prestation, cela représentera déjà un coût disproportionné (sans compter les taxes et débours) par rapport à l’intérêt économique de ladite opération. Si on baisse, au contraire, le coût de la prestation à un minimum qui la rende abordable pour le consommateur (disons 100 € au lieu de 1 000 €), alors la pérennité de l’entreprise (et donc du service public dont elle a la charge) est nécessairement remise en cause. Le remède (partiel) à cette difficulté consiste à établir un tarif où la rémunération soit proportionnelle aux capitaux exprimés dans l’acte, complété par une tarification à l’acte pour ceux qui n’en expriment pas. Mais il provoque alors des anomalies pour les affaires importantes, indignes de la notion de service public s’attachant à la prestation fournie. Des correctifs peuvent alors être prévus pour baisser la rémunération excessive de certains actes. Mais le remède est pire que le mal car c’est alors créer une double inégalité :
- l’une chez les consommateurs entre ceux qui pratiquent de grosses affaires profitant d’une réduction de coût et les autres qui n’en profitent pas ;
- l’autre chez les professionnels entre ceux qui sont coutumiers de prestations à faible capital qui n’auront pas de compensation suffisante à la rémunération de ces actes (par hypothèse insuffisante à la pérennité de l’entreprise) et les autres.
Pas un mais deux !
Aussi, la solution permettant de remplir le double objectif de motiver les consommateurs à faire les actes à capital faible et d’assurer la pérennité des entreprises concessionnaires de missions de service public tout en évitant les écueils de rémunération excessive et de disproportions entre les professionnels, consiste à mettre en place non pas un seul tarif, mais deux : l’un s’appliquant à la rémunération de la prestation, l’autre s’appliquant à la contribution par le consommateur final, une règle d’ajustement étant prévue à la marge entre les actes à très faible capital et les actes à très fort capital. Une telle solution a été conceptualisée par l’association RES-ISTE pour un authentique service public notarial. Elle est déterminante pour assurer la cohésion territoriale et sociale du corps de tels professionnels dont l’organisation y compris financière se doit d’être conforme aux principes fondamentaux de la démocratie au niveau tant de l’accès des consommateurs au service de la régulation du droit qu’à l’accès des candidats qualifiés à l’exercice de la profession.
Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme
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MARDI 7 MARS