La rente est le produit du capital. En raison d’une croissance en berne, elle tend à retrouver l’importance qu’elle avait au siècle dernier. Mais faut-il en dénigrer les bénéficiaires ?

En 10 ans, le taux de croissance de l’économie a diminué de plus de la moitié passant de 2,5 % à moins de 1 %. Ce déclin favorise les détenteurs de patrimoine au détriment des travailleurs et des entrepreneurs. Il aboutit ainsi à un « capitalisme de rentier », certains diraient « de vieux ». Or, si l’on en croît la chanson de Jacques Brel, « plus on devient vieux, plus on devient bêtes ». Heureusement, les économistes ne sont pas de cet avis et concèdent aux gens âgés quelques vertus, notamment sur le plan patrimonial.

Egoïste ou altruiste ?

Les économistes répartissent le comportement des individus face au patrimoine en deux catégories :

  1. les égoïstes ;
  2. les altruistes.

Plus on est égoïste, plus on fait preuve d’une forte préférence pour le présent et moins on a tendance à détenir du patrimoine. Ce serait notamment le cas des célibataires, surtout les moins de 65 ans et des ménages sans enfants ou des peu diplômés. En revanche, plus les gens sont altruistes (les ménages avec enfants le sont généralement plus que les autres), et plus ils détiennent de patrimoine.

L’accumulation d’un patrimoine semble alors répondre à la fois :

  1. à un besoin de précaution car ce sont les individus qui ont le plus peur du risque et ceux qui voient loin qui accumulent le plus ;
  2. à un souci de transmission, rôle joué par le degré d’altruisme.

L’âge venant et malgré une certaine aversion pour le risque, on devient moins altruiste et plus on se rapproche d’un juste équilibre entre ces deux pôles.

L’immobilier au 1er rang

Ce tempérament de rentier n’est plus l’apanage de l’âge. Une bonne partie de la population souhaite retrouver de solides garanties pour son avenir. Elle y est d’ailleurs fortement encouragée par les pouvoirs publics qui, face à des problèmes budgétaires, ont quelque peu diabolisé les potentialités du système de retraite actuel. Si la collecte en assurances-vie en a largement bénéficié, parfois au détriment des placements en action, c’est souvent l’immobilier qui s’est retrouvé au premier rang. Car, pour tout un chacun, il est particulièrement séduisant de pouvoir être abrité durant la vie active par l’investissement qui permet de sécuriser ses vieux jours.

Plus d’héritiers pour une même succession

On observe ainsi que la part des héritages dans le patrimoine total n’a cessé de progresser depuis les années 70. Il représente actuellement plus des deux tiers du capital privé (1) et se rapproche ainsi des 80-90 % que connurent nos ancêtres jusqu’à la guerre de 1914. À la différence de cette dernière période, cet héritage se fait, pour une bonne partie, sous forme de donations. Leur importance est devenue pratiquement équivalente aux legs distribués lors des successions, alors qu’elle n’en représentait antérieurement que 20 % à 30%, au bénéfice des dots sans lesquelles ne se concevait pas un bon mariage. Mais ce qui fait réellement la différence avec la Belle Époque, c’est la répartition des héritages qui, à volume constant, bénéficient actuellement à un nombre beaucoup plus important d’héritiers pour des montants forcément plus modestes. Alors que les ressources dont disposaient au cours d’une vie les 1 % des héritiers les plus riches permettait d’entretenir deux à trois dizaines de domestiques, c’est maintenant les dirigeants salariés les mieux payés qui s’octroient et peuvent se vanter de tels excès dans leurs ressources. En revanche, la qualité de rentier, souvent décrite de manière infâmante dans la littérature, en palliant à des retraites défaillantes tout en permettant de soutenir des héritiers au chômage, devrait dès à présent retrouver un certain lustre.

bthionBernard Thion

(1) Voir Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, pp. 639-641.