La rente de situation… A ces mots, tout Français moyen (et même « petit » ou « gros ») voit rouge. Si on rajoute le mot « notaire », la charge symbolique de cette locution grimpe à son paroxysme. On n’est plus audible. Tenter, une fois de plus, l’analyse des « pourquoi » serait vain tant la quête d’égalitarisme est fondamentale chez nous. Ce n’est pas un hasard si l’égalité figure au centre de notre républicaine devise.

Assimiler l’argent au notaire va de soi, mais la suspicion de rente de situation notariale est à son comble dans les mégapoles urbaines. Qui a seulement vu une fois un notaire en ville ? Il est nécessaire que votre patrimoine compte un nombre respectable de zéro avant la virgule, pour que vous ayez l’honneur d’entrevoir et de saluer votre notaire ! La compétence, l’expérience et même le savoir-faire du collaborateur chargé de votre dossier n’y changeront rien. Il est de bon ton d’admettre, de croire et de faire croire que le client est pleinement heureux s’il est bien servi. Rien ni personne n’empêchera de penser que le notaire « invisible » est un homme d’argent qui privilégie la « relation finance » au contact humain. L’argument contraire sert de rustine à la bonne conscience notariale qui affirme, péremptoire, le problème résolu si l’office notarial est pourvu d’une armée de salariés à compétences aiguisées avec délégation patentée des signatures authentiques. Le raisonnement le plus cartésien ne saurait combattre victorieusement le sentiment diffus enraciné de nos concitoyens. Que faire sinon mettre, là où il faut, un nombre suffisant de notaires titulaires ? La disparition des clercs habilités devrait aller de soi, ainsi que la stricte limitation des notaires salariés.

Recevoir ses clients, un b.a.-ba

Il serait aisé de déterminer le nombre optimum de notaires avec une fourchette assez large pour englober la plupart des situations particulières mises en avant pour noyer le poisson et justifier le statu quo. De plus, on devrait se baser sur un seul critère objectif : le notaire, à la ville comme aux champs, devrait être à même de recevoir personnellement et systématiquement, toute personne au 1er contact le plus important, et à la signature, moment le plus symbolique. Ce qui nous permettrait de clamer, haut et fort, les vertus de l’authenticité, ostensiblement dispensée par le notaire lui-même ! Ainsi éviterions-nous, peut-être, à condition d’y mettre un doigt de bonne foi et une once de bonne volonté, les discussions et réunions byzantines dont nous avons le secret absolu. Mais qui aurait le culot de soutenir « l’intérêt général notarial » miné par notre individualisme congénital ?

 Promouvoir la réception contact !

Le problème de la présence réelle du notaire dans les grandes villes se pose depuis bien trop longtemps. Y répondre nous aurait évité la situation actuelle qui aboutira à son éternel maintien. Les offices les plus importants pourront seuls prospérer, bien à l’abri de leur tarif, paratonnerre de notre entrée en concurrence, éliminatrice de tout quadrillage notarial du territoire. Le notaire, qui y était encore cN2000_2015_04_avril_BIGOTonnu et reconnu, disparaîtra bientôt du radar populaire pour devenir « authentificateur » des grands cabinets des robes noires et des hommes du chiffre. Promouvoir la « réception-contact », en y concentrant toute l’énergie mise à la préservation des situations de rentes, reste sans doute la solution à long terme, même si le temps perdu ne saurait être comblé car la baguette magique n’a plus cours ! Ne cherchons pas trop loin les responsables, victimes expiatoires de la vindicte notariale. Nous sommes personnellement responsables pour une très large part. Les bataillons du notariat urbain ont pesé avec succès de tous leurs poids et influence pour la préservation du statu quo. La grande majorité silencieuse et passive a laissé faire, comme d’habitude ! Certes, une petite minorité n’a cessé de militer depuis la première alerte des rapports Rueff Armand fin des années 60, en faveur de l’évolution du statut et a proposé des solutions… Le tout avec le résultat du gâchis actuel.

Prétendre qu’il aurait été possible de tout éviter est d’évidence chimérique. Sans doute aurions-nous pu mieux nous défendre avec de meilleures armes, face à l’opinion publique que le pouvoir ne saurait défier. Ainsi ne peut-on encore incriminer notre gouvernance qui a fait ce qu’elle a pu. Sans oublier que nous avons eu les dirigeants que nous méritions…

bigotPh  Jean-Claude Bigot