Je ne suis pas sûr que nous en ayons rêvé, pas plus que je ne crois que les projets passés aient été ceux « des notaires de France » mais le CSN l’a fait : voilà qu’on nous incitait (imposait ?) à réserver une demi-journée au moins (mince, trois ou quatre rendez-vous de signature d’actes écrêtés à différer !) le 11 octobre 2018, pour nous consacrer à la relation client. De la même manière que pour la journée de l’authenticité en 2013 (on se regarde le nombril en se gargarisant de slogans vantant les qualités d’un acte dont nous sommes bientôt seuls à comprendre la nature ainsi qu’en témoigne la nécessité d’une référence expresse au nouvel article 1379  du Code civil dans nos actes…) nous avons donc suivi la consigne, dans la joie et l’allégresse…

« VIS MA VIE DE CLIENT »

Admettons, mais avant tout je m’interroge : « c’est quoi, un client »…

Je sais, je suis un ringard, je n’ai pas encore intégré notre entrée accidentelle dans le Code de commerce, mais pour moi, un notaire n’a pas et n’aura jamais de CLIENT.

J’ai du reste défié nombre de personnes de mon entourage de trouver un nom pour celui qui est à la fois l’usager du service public notarial et le patient de notre médecine chinoise du patrimoine, en même temps que le justiciable de notre magistrature amiable…Eh bien, à ce jour, pas de réponse !

C’est quoi, ce qu’on appelle indûment « Client », au même titre qu’on nomme Marianne ce qui est Liberté ?

Certes, il nous paye (encore que, et c’est ce qui crée l’ensemble de nos problèmes, nos émoluments soient plus une « taxe » car rémunération tarifée appliquée à une activité de service public, qui ne respecte pas le principe d’égalité, ni du côté utilisateur ni du côté prestataire !), mais est-ce un CLIENT…

En utilisant ce terme, nous nous éloignons de notre nature fondamentale…

Mais que dire d’autre ? Les synonymes connus sont bien peu adaptés !

acheteur, acquéreur, adjudicataire, chaland, clille, consommateur, demandeur (quoique celui-là n’est pas si éloigné de la réalité), habitué (non, ils ne s’habituent jamais) importateur, individu, malade, ouaille (ouille ouille !), preneur, patient, prospect, protégé… Non décidément, rien de réellement approprié…

Il en reste un :

« Fidèle »

Bien sûr, il est très connoté religieux, mais après tout, notre profession n’est-elle pas, aux dires de certains, un sacerdoce ?!

Mais il est surtout, très clairement, conforme à la réalité de la fonction…

Pour bien rendre le service qu’on attend de lui, le notaire doit établir la relation dans la durée, et s’attacher aux détails qui font la complexité de chacun de ceux qui recourent à ses services. On ne travaille bien que dans la confiance, la vérité ; nous devons éclairer complètement ceux qui font appel à nous (« leur faisant connaître toute l’étendue des obligations qu’elles contractent » disait REAL) parfois contre leur gré, ce qui nous classe pour beaucoup parmi les casse-pieds d’élite…

Hélas, depuis qu’ils sont « clients », les fidèles ne le sont plus, ils se comportent comme des papillons éblouis par le fanal le plus brillant et qui s’en approchent au risque de se brûler les ailes…

Les marchands nous présentent comme une profession, non plus comme une fonction.

Les universités nous définissent comme un métier qu’on peut exercer dès qu’on « a été formé pour » en omettant ce petit supplément qui fait passer de la technique au service, allez, soyons modestes, de l’interprète au virtuose…

Et le client ne fait plus la différence entre l’homme (ou la femme, oui, et gnagnagna ;-) !) de bien, auquel il confie ses choix les plus précieux, et le prestataire, qui lui vend des banalités à prix d’or ou des calamités à prix réduit…

Et le notariat se lancerait dans la course à la satisfaction des besoins immédiats à la sublimation des apparences, comme tous les autres, au lieu de cultiver sa différence.

Les enquêtes mises en exergue par le Supérieur Conseil dans son teaser pour la « journée de la relation client » révèlaient une désaffection. 89 % des Français avaient une image positive de la profession en 2008 ils ne seraient plus que 70 %.

Est-ce parce que nous ne sommes pas assez « modernes » ? C’est la conclusion que semblent tirer nos élites… Elle est dans l’air du temps, elle sied aux jeunes et aux médias…

N’est-ce pas, au contraire, parce que notre « modernitude » nous banalise ? Entendre des notaires s’ébaubir sur la signature électronique, qui est pratiquée partout, pour tout, de la banque aux livraisons de colis, les voir ravis d’utiliser tout récemment la visioconférence, que nous sommes quelques-uns à pratiquer depuis des années avec nos clients les plus progressistes, est-ce réellement ce que tous attendent ?

Les pseudo modernes sont bien souvent quadra à sexagénères, et ils ne sont pas si nombreux à maîtriser réellement les nouvelles technologies dont ils aiment se déclarer chauds partisans ; les autres, selon leur âge et leur état d’esprit, rejettent totalement ou aiment le côté pratique, mais ce n’est pas réellement le plus important à leurs yeux.

Les instances du notariat passent le plus clair de leur temps à disserter sur le « comment » de l’exercice de notre fonction, la seule question qui devrait les préoccuper, car elle devrait être au cœur même de notre stratégie de défense c’est : POURQUOI ?

Et si on répond correctement à cette question, celle de la relation-client se trouve résolue ipso-facto…

Comprendre à quoi l’on sert permet de mieux l’expliquer, l’interlocuteur rassuré tend à revenir, et la conservation des fidèles est de très loin plus importante – et demande bien moins d’énergie – que la conquête des clients.

Mais même si je parviens tant bien que mal à justifier l’usage du terme,  je poursuis ma quête… Comment pourrait-on désigner à vraiment proprement parler les « fidèles-clients » d’un notaire ?!

À vos plumes !