Il y a quelques décennies, la littérature d’anticipation ou « science fiction » était le parent pauvre – quoique très rentable – de la production littéraire ; tout juste bonne à distraire les voyageurs et les oisifs. Puis les choses ont changé lorsqu’on réalisa que leurs auteurs avaient évoqué bon nombre d’éléments de notre quotidien plus d’un siècle avant qu’ils ne soient, tout simplement, possibles…Raison de plus pour (re)lire attentivement leur production !

« Cullereip LEGOV souda solennellement la dernière connexion avec un fil d’or. Les yeux d’une douzaine de Kits visioconférence l’observaient, et R.E.AL transmettait mollement les images pixellisées de la scène. Il se redressa, s’inclina vers Reidid Draffioc et se plaça près de la manette qui allait établir le contact quand il l’abaisserait.

Le commutateur qui allait relier d’un coup tous les ordinateurs de tous les offices notariaux de France, quatre-vingt mille machines au bas mot, dans un supercluster. Une machine cybernétique combinant toutes les archives et connaissances accumulées de toutes les composantes de la profession. Reidid DRAFFIOC prononça quelques mots pour les soixante dix mille personnes qui assistaient à la scène, et après un silence, clama :

« À vous, Cullereip ! »

LEGOV abaissa la manette. Il y eut un bourdonnement étrange. L’influx des données des 5 861 offices. Des courbes et des graphiques figurant le transfert en cours s’animèrent sur un long tableau tactile, qui s’étendait sur plusieurs dizaines de mètres. Cullereip LEVOV recula, inspira profondément.  « L’honneur de poser la première question vous revient, Reidid ! »

« Merci », répondit Reidid DRAFFIOC…« C’est une question à laquelle aucun ordinateur n’a encore pu répondre… »

Il se tourna vers la machine : « Le notariat uni existe-t-il ? »

Une voix puissante – dont le timbre était curieusement familier à nombre des membres du bureau – répondit, sans hésitation, sans même le déclic d’un simple relais :

« Oui. Maintenant le Notariat existe ! »

Une panique soudaine apparut sur le visage de Cullereip LEGOV. Il se précipita sur le levier. Un éclair, jailli du plafond de la salle, le frappa mortellement, avant de souder définitivement la manette en position de marche.

À ceux qui penseraient (peut-être à juste titre, mais qui peut savoir…) que cette réinterprétation notariale d’une des nouvelles les plus célèbres de Fredric BROWN  – « The Answer »(1954) –  est par trop pessimiste, je préciserais, simplement, qu’en 2008, l’un des plus hauts responsables de nos développements technologiques, rencontré sur le stand de notre Très Haut Conseil, et auquel je faisais part de mon irritation face au rapport qualité prix désastreux de notre « modernitude » pour les notaires de base m’avait répondu :

« Les notaires disparaîtront, le notariat restera. Je suis le notariat ». 

Il n’y a, finalement, qu’un seul véritable mystère dans le texte qui précède : Qui diable LEGOV et DRAFFIOC ont-ils donc reconnu dans la voix du Supercluster, motivant la réaction lucide mais désespérée de LEGOV ? Y aura-t-il quelqu’un pour réagir à temps dans notre réalité ?

Didier Mathy
Notaire à Sagy (71)