« Le problème n’est pas la formation des notaires, mais ce que nous voulons être ».

 

Ancien président de la Commission Formation du CSN, Dominique Brossier, notaire honoraire depuis 5 ans, nous livre en toute liberté ses impressions sur la formation des notaires et le notariat en général.

 

Notariat 2000 : Vous avez été président de la Commission Formation du CSN, il y a presque 20 ans, à un moment où il fallait donner un contenu pédagogique à la réforme de la formation initiale professionnelle, décidée par le décret du 29 juin 1989. Quel était le contexte de l’époque ?

D. Brossier : J’ai essayé d’influencer les projets en canalisant les forces qu’étaient le CSN, le CNEPN et les Centres régionaux de formation préexistants. Après un débat difficile, nous avons obtenu que la formation initiale des notaires repose sur trois piliers principaux : le droit de la famille, le droit immobilier et le droit des affaires. Préalablement à ces travaux, ma Commission a proposé au bureau du CSN un plan d’action qui avait l’ambition, “à partir de la réforme de la formation professionnelle, de favoriser le développement de la profession”. Il fallait être plus nombreux et nous avions été quelques-uns à faire adopter par le CSN le slogan “10 000 notaires en l’an 2000”. Il fallait créer le mouvement. Nous préconisions notamment de communiquer auprès des Universités sur notre volonté d’accueillir 300 notaires stagiaires supplémentaires par an dès 1992 et de faire savoir aux conseillers juridiques que la profession était prête à les accueillir immédiatement, sous la seule condition d’être intégrés dans une SCP (la fusion entre avocats et conseils juridiques était alors simplement envisagée). Enfin, nous souhaitions promouvoir une technique d’association progressive, avec une prise en compte de l’apport en industrie par augmentation de capital, programmée au bénéfice principalement du notaire associé qui aura créé ou développé tel ou tel secteur, ceci afin de contourner le blocage que pouvait représenter la patrimonialité des charges. Mes fonctions au CSN se sont terminées en 1990 et ma Commission n’a pas eu le temps de contribuer d’une manière significative à la définition du contenu de la formation initiale dans la voie professionnelle…

 

Notariat 2000 : Avec le recul, quels commentaires feriez-vous ?

D. Brossier : La formation des notaires est une résultante du projet global : « qu’est-ce qu’un notaire au XXIe siècle ? ». La profession pourrait assurer son avenir si des choix politiques simples étaient faits afin de proposer des objectifs et mettre en place les conditions de les atteindre. Dans les années 1990, nous n’avons pas fait ce qu’il fallait pour prendre notre place dans le droit des affaires. Nous avons tergiversé vis-à-vis des conseils juridiques, orienté aussi notre développement sur la gestion de patrimoine. C’était un axe qui, à mon avis, ne pouvait qu’être complémentaire dans la mesure où le notaire me paraît être principalement un professionnel du droit. Cette confusion des genres, l’indolence caractérisée des notaires et les difficultés économiques du début des années 90, nous ont fait abandonner l’idée d’être 10 000 en 2000. Pendant que nos concurrents galopaient, nous avons fait du surplace. Aujourd’hui, si nous ne réagissons pas, nous risquons d’être marginalisés à l’unique activité d’authentification des mouvements immobiliers. Depuis une dizaine d’années, nos études sont prospères parce que l’immobilier est en bonne santé et que nous bénéficions toujours du monopole. Qu’il s’agisse d’années difficiles ou d’années florissantes (en terme de chiffre d’affaires), la profession se laisse aller “au fil de l’eau”. Malgré nos déclarations ronflantes, ce n’est pas un comportement de chef d’entreprise. Nous sommes de moins en moins présents sur le marché du droit. Pour exister, il faut continuellement démontrer notre utilité pour le fonctionnement de la société. Dans l’environnement de plus en plus envahissant des normes anglo-saxonnes, quel est l’atout du notariat ? Sa connotation de sérieux ! Il faut user de cet atout pour conquérir de nouveaux marchés, comme celui du conseil aux entreprises dont la reconquête est toujours d’actualité, ne serait-ce que parce que le service à proposer au chef d’entreprise doit englober les aspects personnels et professionnels. Chaque SCP de ville devrait avoir un secteur de droit des affaires, non pas simplement dans l’optique de proposer la rédaction des actes, mais dans celle de proposer des montages ou de participer à leur conception.

 

Notariat 2000 : Faut-il conserver la voie universitaire et la voie professionnelle ?

D. Brossier : En 1989, la question s’est posée et j’étais plutôt partisan de la voie unique, universitaire dans le cadre d’une convention entre la profession et l’université. Aujourd’hui, l’autonomie des universités est acquise, la nécessité qu’elles s’ouvrent vers le monde de l’entreprise est encouragée. Dans notre intérêt et celui des universités, pourquoi ne pas clarifier notre formation, en nous associant franchement avec les universités ? Il n’y a pas grand-chose à modifier pour la formation technique des notaires. Peu d’autres professions font autant d’efforts pour la formation de base et pour l’accroissement des connaissances par le suivi de formations complémentaires (spécialités) ou de formation continue (université du notariat). Mais pour quels résultats ?

 

Notariat 2000 : Quelles sont vos conclusions ?

D. Brossier : Le problème qui se pose au notariat n’est pas celui de la formation des notaires, mais ce que nous voulons être. Si nous ne voulons pas être de simples authentificateurs ou disparaître dans le magma mondialiste, il nous faut afficher une ambition et prendre les moyens pour que, dans chaque ville de France de plus de 50 000 habitants, apparaisse clairement dans les 10 ans à venir la présence d’un notariat présent dans le monde de l’entreprise. Alors, nous susciterons l’envie de devenir notaire… Et l’avenir sera sans doute plus enthousiasmant !