“L’innovation et l’audace d’entreprendre doivent nous animer”
Le notariat est-il efficace économiquement ? C’est la question que va se poser, du 18 au 24 novembre, l’équipe du Congrès MJN 2007 (www.mjn.fr). Entretien avec Yvon Rose (Rhône), son président.
Notariat 2000 : Pourquoi avoir choisi « Droit et Economie » comme sujet de congrès ?
Yvon Rose : Le juriste et le notaire notamment ne peuvent plus vivre dans leur sphère, dans leur monde cloisonné. La prise de pouvoir de l’économie dans tous les domaines ne nous épargne pas. Il faut en tirer les conséquences, réfléchir à nos relations avec l’Etat, à nos modes d’exercice… Nous devons également nous interroger sur notre efficacité économique. L’accent est actuellement mis sur notre statut d’officier public. Or le notaire a toujours eu deux jambes : officier public et professionnel libéral. Nous ne devons pas nous amputer de cette dernière car elle a un appui sur le marché. En revanche, nous devons réexaminer notre place, nos domaines d’actions, notre organisation et notre taille pour les adapter et ainsi jouer un rôle de moteur de la croissance. L’éclairage exceptionnel que Me Monassier a bien voulu donner au thème permettra, sans nul doute, à beaucoup d’entre nous de situer les enjeux, mais aussi nos forces et nos faiblesses. Notariat 2000 : En quoi le sujet est-il d’actualité ? Yvon Rose : Nous savons tous que les rapports tant mondiaux qu’européens nous interpellent. La simple défense ou le repli dans la coquille fragile d’officier public ne peut suffire comme argumentaire. L’innovation et l’audace d’entreprendre doivent aussi nous animer. Nos capacités à appréhender les besoins de nos marchés, à les anticiper et à adapter nos unités de production pour répondre avec qualité et rapidité sont autant d’instruments à mettre en avant.
Notariat 2000 : Beaucoup, notamment les jeunes, se plaignent du coût élevé du congrès. San Francisco n’est-il pas un lieu trop éloigné pour un congrès ?
Yvon Rose : Au niveau du coût, si vous comparez le congrès de San Francisco avec, à égalité de prestations et de temps, un autre congrès – même en France-, vous vous apercevrez vite que ce congrès est bien moins cher. Quant à la destination, elle nous a paru évidente. San Francisco est, en effet, la ville la plus libre et la plus innovante des USA. C’est là que nos futurs concurrents se forment en droit européen. Il nous faut voir, écouter, apprendre ce que nous disent nos homologues américains, moteurs du marché économique. Pour savoir faire un pas de côté et entendre d’autres voix que celles de notre microcosme juridique, il faut aussi prendre de la distance. C’est la raison pour laquelle nous irons écouter des cours dans les universités de Stanford et de Berkeley et voir la façon de travailler des lawyers. C’est une occasion unique de récompenser nos collaborateurs les plus dynamiques, de leur offrir une occasion de se former et pour les jeunes installés d’évaluer l’avenir, grâce notamment aux subventions exceptionnelles offertes tant par Elan que par le Conseil Supérieur. Notariat 2000 : Quelle est “la” caractéristique de ce congrès MJN ? Yvon Rose : Elle réside, sans nul doute, dans le fait que, du 18 au 24 novembre, les congressistes ne seront pas seulement spectateurs, mais acteurs. Nous allons ainsi demander à chacun d’entre eux de donner des consultations gratuites baptisées “PEARL” dans les locaux du lycée français. Cela se fera avec l’aide du Consulat et des associations françaises puisque 40 000 Français se forment ou travaillent temporairement en Californie. Pendant le congrès, nous allons également travailler en ateliers pour favoriser au maximum l’échange. Les professeurs comme les lawyers qui interviendront, maîtrisent parfaitement le français. Il n’y aura donc pas de barrière de langue.
Notariat 2000 : Votre équipe de rapporteur est internationale, ce qui est nouveau à JN. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Yvon Rose : L’équipe, c’est un pack de rugby sur le sujet. Elle est composée à part égale de membre du notariat français et de membres d’autres nationalités. Nous avons voulu également que des personnalités extérieures au notariat nous donnent leur sentiment. Nous aurons ainsi le point de vue pratique de notariats qui se frottent à la common law avec nos deux notaires québecoises, mais aussi de notariats « en phase de décollage » avec le témoignage d’un chinois, de deux polonaises, et d’une anglo-germanique qui a étudié les notariats d’Europe de l’Est à la chute du mur de Berlin. Nous pouvons avoir une position offensive sur nos marchés si nous savons nouer concrètement le partage des mêmes valeurs de droit continental dans les actes, sur le terrain. La contribution éminente de M. Bertrand du Marais, Conseiller d’Etat en sera aussi l’illustration. La vision de personnalités extérieures dans le livre du congrès, comme celle de Jean-Claude Roehrig sur son vécu de l’évolution du notariat sur les 25 dernières années, sera aussi très enrichissante pour les jeunes car cela leur permettra de voir la trajectoire de notre profession et de se situer. Notariat 2000 : Quelles sont les idées novatrices de ce congrès ? Yvon Rose : De « totalement nouvelles », j’en vois au moins trois. La régulation tout d’abord. À San Francisco, nous découvrirons qu’entre l’ « étatisme » de l’officier public et le « libéralisme » du professionnel libéral, il y a un nouveau rôle à envisager -en plus- pour l’avenir : celui de régulateur ou d’ “opérateur crucial” qui a les bonnes grâces des autorités européennes. Ensuite, nous développerons l’idée de l’Office notarial spécialisé. L’ efficacité économique commande une spécialisation marquée, visible et lisible, notamment des offices notariaux spécialisés en droit des affaires, en droit international ou dans les modes alternatifs de règlement des conflits. Enfin, nous mènerons une réflexion sur le « notaire exportateur ». Il s’agit de pouvoir conseiller et signer à l’extérieur de l’Union Européenne et de concevoir d’épauler l’action du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de l’Economie. Si les deux dernières idées sont facilement compréhensibles, la notion de régulation et d’« opérateur crucial » est plus complexe. Elle sera développée par un rapporteur et par Mme Frison-Roche, titulaire d’une chaire de la Régulation à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et professant aussi à l’E.N.A. Concevoir le futur environnement de travail du notaire, sa formation, l’efficience et la réactivité du notariat, notamment vis-à-vis des textes de lois, sont des nouvelles frontières à conquérir. Il faut souligner, comme l’indique M. Vaquier du Cridon de Lyon dans le livre du congrès, que nous pourrions optimiser notre savoir-faire par une évaluation des premières applications de lois à travers nos questions aux Cridons. Le notaire réducteur d’incertitude en somme.
Notariat 2000 : Alors finalement le Droit est-il “soumis” à l’Economie ?
Yvon Rose : Sans doute mais pas seulement. Un autre paramètre est vraiment très important, c’est la Culture ! La diversité culturelle oblige le Droit à ne pas offrir qu’un seul droit, le même pour tous ; elle évite le choc des plaques tectoniques des deux systèmes juridiques. Les deux systèmes de droit au contraire s’enrichissent mutuellement et s’hybrident en fonction des cultures. Nous pensons qu’il faut garder cette diversité . Il faut rester en alerte, mais dans une posture ouverte aux nouveautés et faire le choix d’adaptations. Nous verrons que des techniques nouvelles pourraient utilement être “importées” dans notre droit, comme la data-room. Un exemple du poids de la Culture sur le droit est illustré par notre rapporteur chinois. En Chine, un couple qui ne peut pas avoir d’enfant peut légalement adopter de façon plénière et quasi-automatique un des enfants d’un des frères ou sœurs du couple avec son consentement.