Le discours d’un président, face à ses pairs qui l’ont élu, est toujours un morceau de choix. Au-delà d’un aspect convenu, il développe sa feuille de route pour les 2 ans à venir. Jean Tarrade n’a pas dérogé à cette règle. Dans ce passage de crise qui s’annonce rude sous nos panonceaux, notre nouveau président entend « promouvoir l’acte authentique qui est notre seul salut » et se dit décidé à « combattre les idées qui tendent à assimiler la fonction de notaire à un service marchand » (1).
Service « marchand »… voilà bien le mot repoussoir ! Alors, exit la négociation immobilière ? Cette activité séculaire et ancestrale fait pourtant vivre moult études. C’est notamment le cas du Cantal où, sans elle, nous n’aurions plus que 3 ou 4 sièges d’étude, avec quelques parcimonieux bureaux secondaires. Exit notre maillage territorial ? Nous le brandissons pourtant tel l’invincible bouclier qui protège les gros offices tentaculaires de nos métropoles, pourvoyeurs d’excellence juridique… et de cotisations ! Exit la gestion de patrimoine ? Elle est déjà exsangue par un incompréhensible abandon de l’assurance-vie… Et pourtant, ne s’agirait-il pas d’un contrat dont nous prétendons être les acteurs « incontournables » ? Ne serait-ce pas un produit indispensable à la mise en place globale d’une transmission, dont nous prétendons être les « sachants » ?
Servir utilement
Où sont passées les ambitions prometteuses de nos pionniers en matière de développement ? Au moment opportun de la décennie 80, ils avaient mobilisé leurs énergies pour faire adopter, par le CSN (présidé par Jean Limon), une charte patrimoniale équilibrée. Elle fut remplacée par un cul de sac désastreux… Qu’est devenue la formation pratico-pratique permettant aux notaires d’approcher et de concevoir le service efficace du client ? On a gardé quelques grand-messes annuelles et l’excellente formation universitaire du doyen Aulagnier, malheureusement réduite à quelques dizaines de notaires par an. Nos « modules 3 x 3 jours », également conçus avec l’aide universitaire, ont vu affluer 4 000 notaires (ou collaborateurs) qui sont venus spontanément et à leurs frais. Dans ces décombres, une petite minorité d’offices poursuit sa route patrimoniale. Ils sont, pour la plupart, de taille importante pour assumer la charge du seul conseil sans préconisation. Vue de l’esprit surréaliste et hypocrite, hélas bien installée ! En effet, le « hors monopole » s’avère économiquement indispensable dans 30 % des petits et moyens offices (PMO) qui assurent notre « gendarmerie du juridique » et confortent le piédestal de notre authenticité, cernée de toute part ! L’expertise immobilière, créature de l’ex Conférence du Plan, en est un bon exemple. Longtemps méprisée (car peu rémunératrice), elle voit aujourd’hui gonfler sa voilure. Nous voilà enfin reconnus par les Pouvoirs publics. Ainsi en va-t-il de la négociation qui conforte nos ventes si indispensables. Dieu sait si elles sont lorgnées ! De même pour nos successions que nous sommes en train de perdre inéluctablement (40 % déjà et ce n’est qu’un début !). Nos audits patrimoniaux, suivis logiquement des préconisations honnies, nous assuraient solidement les transmissions qui, elles-mêmes, génèrent nos ventes…
Authenticité, mais pas seulement !
L’objectif de ne plus vivre désormais que de la seule authenticité nous met dans un danger inexorable car il nous fait dépendre totalement des décisions « du prince ». Lui seul peut choisir de nous déléguer exclusivement ou de nous retirer la rédaction authentique. L’expérience ancestrale (ou même récente) nous prouve que les Pouvoirs publics ne le font que sur évidente contrainte. Imaginons un instant l’épouvantable chaos qui aurait paralysé cet « affreux machin hypothécaire », élaboré en 1955 par quelques énarques illuminés, si l’énergie de 60 000 professionnels ne l’avait tenu hors de l’eau ! Heureusement, le CSN a alors alerté les ministères qui nous ont délégué ce pauvre bébé, devenu aujourd’hui un adulte sous perfusion notariale. Alimenter nos illusions par la suffisance de la seule authenticité serait méconnaître l’évidente alimentation du monopole authentique par le hors monopole méprisé et vice versa. Il reste que les freins au développement s’avèrent redoutablement efficaces ! L’esprit d’entreprise est chez nous rare. Notre sentiment profond, accru par notre formation théorique, nous porte de plus en plus vers l’aspect « juriste » de notre profession. Condition certes nécessaire, mais est-elle suffisante ?
Ne pas subir
Cette question du juridique « pur et dur » ne s’était guère posée jusqu’aux fameux « rapports » du début des années 70 (2). Ils ont fortement secoué nos certitudes, jusqu’à faire douter de notre utilité. Nos dirigeants d’alors ont réagi en confiant l’animation d’ateliers, dans chaque Cour d’appel, à la jeune Conférence du Plan. L’objectif était de sensibiliser les notaires à la nécessité de se diversifier. Ils avaient bien compris que la seule réponse possible était de faire percevoir, par le plus grand nombre, l’importance de nos services. Hélas, ce temps est oublié… Nous voilà revenus, avec une certaine délectation, aux délices anciens du « tout juridique ». La difficulté est que seule une minorité est apte à le percevoir. Le grand public, celui des sondages qui animent le pouvoir, n’est guère sensible au droit ! Tel n’est pas le principal service qu’il attend de nous. Or, aujourd’hui et plus encore demain, le pouvoir ne nous jugera que sur ce critère : l’opinion publique ! Ne comptons ni sur les juges qui ignorent l’authenticité, ni sur les autres juristes qui nous jalousent. Tous devraient reconnaître le service éminent issu de nos actes, mais nos actes seuls ne peuvent ni nous nourrir, ni nous pérenniser. Ainsi en a-t-il toujours été. Espérons que le bon sens prévaudra, une fois encore. Rude responsabilité.
1. Cf Communiqué de presse de Jean Tarrade du 25 octobre 2012. Lire également l’édito du président Tarrade, paru dans NVP n° 2097. 2. Il s’agit du rapport Rueff et Armand (économistes) et de celui de M. De Chamberet, alors « grand manitou » du service urbanisme.