À l’aube de cette seconde – oui, je me plais à espérer que je n’aurai à en connaître que deux, indécrottable optimiste que je suis… – vague de confinement, je suis particulièrement navré, surpris, énervé, de me retrouver à devoir faire la police face à d’indécrottables crétins s’imaginant plus forts, plus résistants, plus chanceux que la moyenne.  

Je veux bien entendu parler des clients. De ceux-là même dont le dossier de vente d’une parcelle de bois au fin fond du ravin de Paurilles ne peut désormais plus attendre alors qu’entre le rendez-vous de mise au point et le versement de la provision sur frais onze mois se sont écoulés. D’autres aussi qui estiment que ces questions qu’ils se posent ne peuvent attendre pour trouver réponse, ou mieux encore qu’ils ne peuvent la poser par téléphone pour le même résultat. D’autres enfin qui ne comprennent pas que leur notaire – moi-même, abruti en chef pour vous servir – ne leur propose qu’une procuration adressée par mail, puis par courrier car ces charmants clients n’ont ni imprimante ni scanner, sans même demander de certification pour signer leur acte, alors que le notaire de leur fille il reçoit, lui : sans doute y a-t’il quelque chose à cacher derrière ce refus de recevoir ! 

Tu restes chez toi sauf  s’il est impossible de faire autrement.

À bin oui, parce qu’en fait je veux aussi parler des notaires. Vous savez, ces hommes et ces femmes chefs d’entreprises, détenteurs du sceau de la République, chargés de faire connaître à leurs clients l’étendue des obligations qu’ils contractent. 

Des hommes et des femmes qui ont pour mission d’expliquer et d’appliquer la loi au quotidien. Bin si, ces empêcheurs d’arnaquer en rond, totalement psychorigides, pourchasseurs de non-dits et traqueurs de non-déclaré, vous ne voyez pas ? Bref des gens pour lesquels la loi est la loi, s’appliquant en tous points du territoire national et à tout citoyen. Ces gens plus égaux que les autres, qui risquent leur profession à la moindre incartade même privée. Bref et re-bref. 

Figurez-vous que certains d’entre eux reçoivent allègrement et toute la journée moult clientèle, fort heureusement munie de la sacro-sainte attestation de déplacement pour rendez-vous juridique, au mépris de textes pour une fois tellement clairs qu’ils ne nécessiteront pas trois passages en Cour de Cassation pour qu’un semblant d’étincelle ne finisse par jaillir en assemblée plénière de l’analyse des débats préparatoires de la règle en question. 

Pour ceux qui pratiquent au quotidien l’obscur langage juridique, les choses sont limpides, je ne traduirai pas. Pour ceux qui parlent un français basique, elles le sont tout autant. Pour tous les autres, qui n’ont pas eu la chance de faire des études ou qui ne parlent pas la langue, je vais résumer simplement : tu restes chez toi sauf s’il est impossible de faire autrement.

Alors du coup, moi – ouais parce qu’en fait c’est uniquement de moi dont je veux parler, souffrant, outre d’une imbécillité crasse, d’un navrant narcissisme surdéveloppé -, moi disais-je, petit notaire et citoyen lambda, j’ai cru pouvoir en déduire, avec mes faibles bases de grammaire, d’orthographe et de lecture, que je fermais toute mon étude à la clientèle. À toute la clientèle. Et qu’au cas par cas, en fonction des seules nécessités, je pouvais m’adapter. C’est donc ce que j’ai mis en pratique, procuration par procuration. Nécessité faisant loi. Les rendez-vous d’ouverture de dossier et de renseignements sont devenus téléphoniques ou électroniques, et les salariés représentent les clients. Si nécessaire je me déplace, si solennel je tente aussi d’être le seul à me déplacer, et si pas possible, eh bien là et seulement là, je reçois en présentiel. Ne vous y trompez pas, je n’ai nulle envie de donner la moindre leçon : la règle est simple, les sanctions sont connues. J’espère qu’elles tomberont. Car là où des commerces meurent par centaines, par milliers, des gens meurent également. Souffrent. Contractent un mal qui parfois les fatiguera, leur fera perdre goût et odorat, d’autres fois ne les touchera pas ou les enverra à l’hôpital, de rares fois cependant les tuera. Apprendre que par ma faute, mon irresponsabilité, mon avidité, ou ma simple connerie – toujours bien présente, je ne suis qu’un homme finalement – j’ai pu être la cause plus ou moins lointaine du décès d’un être humain, sera juste un supplice. Je souhaite simplement me montrer digne des responsabilités que je porte. 

Et honte aux cons…

 

Rémi Vibrac
Notaire à RIEZ (04).