Charybde et Scylla, ces deux monstres marins de la mythologie, exprimaient les dangers guettant les premiers marins grecs qui s’aventurèrent dans les eaux inconnues de la Méditerranée occidentale. Tomber sur l’un ou sur l’autre était dévastateur. Entre absence de morale et prosélytisme religieux, la navigation apparaît tout aussi délicate pour sauver notre vivre en paix.
Il ne se passe pas de jours sans que l’on entende un couplet inquiétant sur la solidité de notre système financier. Après la BNP Paribas, qui a écopé d’une amende de 9 milliards de dollars pour avoir violé les embargos américains, c’est autour de la Deutsche Bank, la plus importante des banques européennes, de se voir réclamer par la justice américaine une amende record de 14 milliards de dollars pour avoir vendu des prêts toxiques aux américains. Or, pour le FMI, cette banque est en Europe l’établissement systémique le plus fragile, capable d’entraîner dans sa chute des pans entiers de la finance mondiale.
La question se pose alors de la moralité de ces financiers fauteurs de crise. Joris Luyedijk, un journaliste néerlandais s’en est inquiété dans « Plongée en eau trouble » (Plon). Le livre décrit ces travailleurs de la finance « qui sortent d’excellentes universités, qui voyagent à travers le monde, viennent d’horizons très divers et tiennent des conversations passionnantes ». L’auteur y observe que s’ils obtiennent des bonus parfois mirobolants, les plans de licenciements sont en parallèle très fréquents et particulièrement violents. Sachant que suivant la théorie, la meilleure stratégie est de suivre le marché et que, du jour au lendemain, tout peut s’arrêter pour eux, ces acteurs de la finance se révèlent à la fois très conformistes et surtout branchés sur le court terme. Ainsi, Joris Luyedijk écrit-il : « le monde financier n’est pas peuplé de gens qui font sciemment le mal, mais de conformistes qui ont simplement cessé de s’interroger sur ce qui est bien ou mal ». Ce qui est tout aussi inquiétant.
Cette absence de moralité semble avoir gagné non seulement les dirigeants des grandes entreprises détournant allègrement les lois à leur profit, mais aussi les populations ou du moins leurs représentants. Sinon comment expliquer que l’amende record de 13 milliards d’euros infligée à Apple par la Commission européenne ait semé la zizanie dans le gouvernement irlandais, et qu’après des débats houleux, les députés aient décidé de faire appel de cette décision préférant renoncer au versement de l’amende plutôt que risquer de perdre leurs multinationales ? D’une manière plus globale, il résulte de ces excès en tout genre et en dehors de toute morale l’apparition d’un écart de plus en plus important entre un club restreint de dirigeants riches devenant de plus en plus riches et une population pauvre dont l’importance s’accroît sans cesse.
A contrario, cette situation semble favoriser la laïcité et peut-être aussi une explication au regain de ferveur que connaissent les religions. Cela est vrai non seulement chez les musulmans, mais aussi pour les évangélistes, les orthodoxes et les catholiques. Pour ces derniers, on observe une remontée significative, notamment en France et en Italie, du retour de la religion populaire au travers de manifestations telles que les canonisations, les pardons bretons, les pèlerinages comme ceux de Lourdes et Compostelle, qui ne se traduit pas forcément par une pratique régulière, mais un intérêt nouveau pour le fait religieux. Il se développe également en entreprise. Une étude réalisée auprès de 1405 cadres et managers montre que 65 % d’entre eux ont observé à plusieurs reprises des faits religieux sur leur lieu de travail. Parmi eux, le port visible de signes religieux est le plus fréquent. La Chrétienté s’étant de tout temps opposé au développement du monde musulman, certains imaginent déjà que ce renouveau spirituel aboutisse à une nouvelle guerre de religion.
Ainsi, entre le développement d’une laïcité amorale favorisant le pouvoir de l’argent tout en portant les germes d’une révolte des populations et les excès des affrontements religieux, le chemin s’annonce étroit pour continuer de vivre en paix.
Bernard Thion