Les problèmes de société auxquels sont confrontés nos gouvernements auraient besoin de véritables politiques et ne trouvent que des grands argentiers. La crise grecque en est un exemple frappant.
Comme le rappelle l’économiste et anthropologue Paul Jorion, Keynes dénonçait déjà en 1933 l’incapacité des Etats à traiter les problèmes fondamentaux de société autrement qu’en fonction du « combien cela rapporte ?« . « Le XIXe siècle a promu jusqu’à la caricature le critère des « résultats financiers » comme test permettant de déterminer si une politique doit être recommandée et entreprise dans le cadre d’une initiative d’ordre privée ou public« . Cette vision demeure toujours d’actualité. De nombreuses voix (dont celle de DSK) se sont ainsi fait entendre pour dénoncer l’attitude des dirigeants de l’Eurogroupe (réunion des 19 ministres de la zone euro) et, en particulier, la position allemande sur l’accord réalisé le 13 juillet dernier avec Alexis Tsipras. Cet accord prévoit qu’en échange de lourds sacrifices (hausse de la TVA, privatisations massives et réforme des retraites), un troisième plan d’aide de plus de 80 milliards sur les trois prochaines années, soit mis en place.
Paul Krugman, lauréat du « Nobel » d’économie 2008, estime que les efforts demandés à Athènes « dépassent la sévérité ». Selon lui, ils recèlent un esprit de vengeance, la destruction totale de la souveraineté nationale et effacent tout espoir de soulagement ». Il ajoute : « Le projet européen vient de subir un coup terrible, voire fatal. Et quoi que vous pensiez de Syriza ou de la Grèce, ce ne sont pas les Grecs qui ont porté ce coup ».
De son côté, Joseph Stiglitz, nobélisé en 2011 et en complet désaccord avec les dirigeants européens, a approuvé le refus de ce pays vis-à-vis du diktat de la « troïka », lors du référendum organisé à la hâte par Athènes début juillet. Il soulignait, en effet, que le programme imposé cinq années auparavant était déjà une aberration. Il avait conduit à une baisse de 25 % du PIB du pays avec des conséquences catastrophiques et un chômage parmi les jeunes grecs dépassant 60 %. Il notait aussi que peu de pays ont réussi à transformer un important déficit primaire en un excédent budgétaire comme l’ont fait les Grecs au cours des cinq dernières années et que seule une très faible partie des énormes sommes d’argent prêtées à la Grèce lui était réellement destinée. Elles avaient servi à rembourser les créanciers privés, notamment les banques en Allemagne et en France. Selon Stiglitz, c’est l’antithèse de la démocratie qui est à l’œuvre, beaucoup de dirigeants européens voulant la fin du gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras en l’obligeant à accepter un accord contredisant ses engagements électoraux.
Les négociations pour l’adoption d’un troisième plan d’aide ont d’ailleurs mal débutées. Les représentants des créanciers de la Grèce (FMI et Banque centrale européenne) qui étaient attendus le 24 juillet à Athènes ne sont jamais arrivés pour des questions de bienséance vis à vis de Christine Lagarde. Déjà en 2012, les européens avaient promis aux Grecs une restructuration de leur dette dès qu’ils dégageraient un excédent budgétaire hors service de la dette. C’est le cas depuis fin 2014, et cette promesse n’est toujours pas tenue. Dans ces conditions, peu de chance que la Grèce bénéficie d’un recours en grâce de la part de ses créanciers qui chercheront à profiter de ces négociations pour lui faire encore « rendre des comptes ». Et pourtant, aucune statistique ne peut restituer l’ampleur des sacrifices concédés par les Grecs depuis six ans, l’économie du pays étant, dès à présent, revenue à son niveau d’avant l’euro.
Bernard Thion