Chaque mardi depuis un mois, nous publions une réflexion sur le notariat qui consiste à « l’inventer comme s’il n’existait pas ». Gros plan, dans cet épisode 5, sur la « Fonction des professions du droit : le privé, la publicité, le public »
Dans nos sociétés, les données à contenu juridique sont généralement privées (un contrat par exemple). D’autres sont publiques (un jugement par exemple). Mais le bon fonctionnement de la société commande que certaines données privées soient rendues plus ou moins accessibles à d’autres personnes que celles qu’elles concernent directement (le dépôt d’un testament), voire accessibles à tous et donc publiques (un mariage). Pour faire passer des données d’un statut privé à un statut public, il existe une multitude de systèmes de publicité. Parmi les plus importants systèmes reposant sur des organisations anciennes, il y a la publicité de l’état des personnes physiques et celle des transferts de propriété immobilière incombant à l’État. L’évolution de l’organisation du travail au niveau de l’État étant ce qu’elle est, de tels systèmes s’avèrent de plus en plus coûteux pour le contribuable et de moins en moins efficaces pour le citoyen et les institutions. D’autres systèmes, de conception généralement plus récente (comme l’état des commerçants et des personnes morales et les transferts d’entreprises et de parts sociales), ne sont pas administrés par l’État, du moins directement, mais par délégation de service public (les greffes des tribunaux de commerce).
Un système bancal
La régulation du droit dans l’intérêt d’un développement économique sécurisé commande que les moyens de publicité afférents à la partie de l’état des personnes ayant trait directement ou indirectement à la capacité (mariage, régimes de protection) ainsi qu’aux transferts de droits relatifs à la propriété immobilière soient rapides et efficaces. Il est symptomatique de considérer que le système actuel en ces matières est bancal : le fournisseur principal de données (le notariat) n’est pas responsable directement de l’organisation de leur publicité. L’en charger rendrait la publicité plus pertinente, son organisation plus cohérente et surtout en déchargerait l’Administration au grand bénéfice de la collectivité nationale. Il se trouve d’ailleurs qu’on aurait en la matière une heureuse symétrie avec le domaine des affaires, puisque les greffiers des tribunaux de commerce qui assurent la responsabilité de la publicité en la matière partagent avec les notaires la même qualité d’officier public et ministériel. Des expérimentations existeraient en ce sens concernant le fichier immobilier ; la même perspective pourrait orienter la réforme du répertoire civil.
La double interface du notariat
D’une manière plus générale, il apparaît nécessaire pour le bon fonctionnement de la société de comprendre un corps intermédiaire qui serve d’interface, de lieu d’échange, entre la sphère privée et la sphère publique de la régulation.
D’un côté, c’est la mise en application dans la sphère privée des règlementations produites par la sphère publique au moyen de l’information sur le droit, l’explication des règles et l’adaptation des normes à l’infini diversité des situations concrètes.
D’un autre côté, c’est l’identification des besoins sociaux en matière juridique, la définition du droit tel qu’il devrait être pour une heureuse régulation sociale. Le notariat joue pleinement ce double rôle d’interface :
- sur le versant de l’application concrète du droit au citoyen, c’est son ouvrage quotidien ;
- sur celui de la régulation de lege ferenda, c’est le Congrès des notaires (qui propose les adaptations juridiques relatives à la compétence notariale), le Concours Solon (qui met en œuvre toute une infrastructure pour améliorer le rédactionnel des règlementations) et Mon Avis Pour la France (qui transforme le notariat en rédacteur de nouveaux cahiers de doléances sur tous les sujets où les citoyens veulent interpeller le Pouvoir).
La condition pour tenir ce rôle est d’être un corps intermédiaire combinant simultanément les dimensions publique et privée de la régulation.
Nature et fonction des professions intervenant dans la régulation du droit définissent la nécessité d’un corps intermédiaire ayant pour fonction de servir d’interface entre les sphères privée et publique de la société et pour nature d’opérer. On sait les déboires financiers et économiques mondiaux qui ont résulté des défaillances du droit américain de la preuve de propriété immobilière à l’occasion de la crise des subprimes.
Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme