Nous sommes tellement fiers de faire par « électronique » la signature de l’acte notarié que nous oublions parfois que cette modernité affichée ne suffit pas à justifier notre présence, bien au contraire…

L’acte authentique sert notamment à « percevoir des taxes », et c’est du reste la raison pour laquelle, de plus en plus collecteurs d’impôts, nous perdons peu à peu de vue que cet acte, auquel nous avons donné tant d’importance depuis une trentaine d’années au point de dire qu’il est nous(1), n’est, finalement, que l’aboutissement d’une démarche globale, et non son expression absolue : un sous-produit, et non un artéfact.

Certains notaires – et non des moindres- n’hésiteront pas à affirmer que nous sommes là « pour faire des actes authentiques », et voudront donc tout faire par acte authentique, sans considération de ce qui peut justifier le recours à cette forme, définie par l’article 1317 du Code civil…

Je ne m’appelle pas Paul, tant pis si ce sont des Mickeys, pas de polémique, donc… Évitons de relancer ici – faute d’espace – 

la question de cette obsession, comme celle des failles dans la construction de notre bien cher et tant adulé acte authentique électronique…

On veut du tout authentique, OK. Mais quid justement de l’acte authentique électronique ?

Jusqu’à présent, on n’a réussi qu’à « électroniquer » l’acte

Il est démontrable, et démontré, que tout ce qui distancie l’Officier Public (une personne physique, exclusivement) du résultat de sa fonction fragilise le lien, et donc le résultat… La prudence recommanderait en conséquence de ne pas transposer simplement ce qui a fait ses preuves par le passé sur des supports supposés modernes, mais de repenser totalement les méthodes pour les adapter à l’évolution des outils comme de la société.

Jusqu’à présent, on n’a réussi qu’à « électroniquer » l’acte (l’application des exigences de la publicité foncière l’ayant rendu quasiment illisible pour le commun des mortels, et la mauvaise foi de ceux qui pensent « assurance » avant même de penser sincérité a fait le reste, grandement aidée par une inflation législative et réglementaire guidée par le trop fameux « principe de précaution »…) il aurait été tellement plus utile de « notariser l’informatique »

La grande force du web aura été de lier entre eux des éléments hétéroclites, situés sur des sources diverses, pour en faire un ensemble cohérent sous forme de pages, puis de sites, plus même d’outils, permettant de tout savoir, tout trouver, tout relier… Les pionniers de ces techniques débordaient d’imagination alors même que les limites techniques (taille mémoire, stockage de données, vitesse de transmission) constituaient autant de « bâtons » dans les roues du progrès… Je me vois encore, exhibant sous les yeux médusés (ou de poissons morts, tout dépend à qui je fais référence) de l’auditoire du Congrès SNN « Geyser II » en 1996 un disque amovible de 500 Mo qui contenait alors :  » tout ce qui m’était nécessaire pour travailler ». Nous étions encore, pour ainsi dire, dans la préhistoire, le minitel-roi freinant l’expansion d’internet, qu’on présentait comme une zone contaminée par des virus et un repaire de pirates… Pourtant, nous pouvions déjà travailler à distance, et même, eh oui, certains en seront surpris, échanger par visio… Bon, d’accord, en 320×200 en noir et blanc à 7 images secondes avec un son séparé par téléphone, mais on pouvait !

Aujourd’hui, l’espace de stockage se compte en Téraoctets pour des particuliers, en Yotta-octets pour les informaticiens (et Yobi-octets pour les casse-pieds qui veulent appliquer la nouvelle terminologie du NIST). Les mémoires-vives (RAM) équipant nos machines n’ont plus rien à voir avec celles de l’époque et pourtant, nous persistons à faire comme avant…

Télé@ctes, et les exigences de la Direction des Finances Publiques pour permettre une rapide automatisation de la publicité foncière à son seul bénéfice (nous devions avoir les actes en retour sous DIX JOURS, nous sommes aujourd’hui heureux lorsqu’ils reviennent en 10 mois…) ont fait de nous « des pisse-lignes presse-boutons » dont le souci essentiel semble être « est-ce que ça passe en télé-publication ? »

Qu’il était beau, pourtant, l’acte authentique dont nous rêvions alors… Sans aucune comparaison avec cette déclinaison de la méthode Maillard (créée pour simplifier la rédaction à l’époque des photocopieurs) suivie d’une bouillie d’informations que nous avons nous-mêmes peine à comprendre ou à expliquer (que celui qui se sent capable de me définir précisément la « liaison équipotentielle »… comprenne que nous ne sommes pas tous électriciens !).

Imaginez un acte court, rédigé en français, je dirais presque à l’ancienne, et pourquoi pas dans une police élégante, dont les termes seraient reliés à un dictionnaire de vulgarisation du vocabulaire juridique, et qui, au survol d’un lien-titre afficherait le document référencé en « pop-up », dans lequel on pourrait aussi bien inclure des éléments multimédia, comme le consentement visio-verbal cher à notre ami Etienne DUBUISSON… 

La modernité réside-t-elle seulement dans la possibilité de faire pareil (ou même moins bien) en le faisant à distance et de façon dématérialisée ?

Imaginez encore que cet acte soit imprimé à la demande pour ceux qui souhaitent une copie papier, mais sur un papier « précieux » avec une reliure digne de ce nom et un sceau à la hauteur de l’attente d’un « titre de propriété ».

Imaginez que cet acte soit signé avec un stylet plume d’oie, sur un bureau écran tactile ou à distance selon des procédures contrôlées exclusivement par le notariat et sa seule autorité de tutelle légitime : le Ministère de la Justice. 

Imaginez enfin que chaque client dispose d’une carte mémoire sécurisée (ou même d’un espace dans le Cloud (…girofle notarial) contenant la totalité de son historique juridique, et qui ne pourrait être lue que par – ou avec l’autorisation technique –
de « son » notaire (2)

Décidément, lorsque je reprends l’intégralité des hypothèses qui avaient été émises – et écrites de façon argumentée – depuis 30 ans (et plus) et que je constate l’état de l’art, je me dis que ceux qui nous affirment que le train du progrès est en route, et qu’il ne faut pas rester sur le quai se sont trompés, et sont à bord d’un convoi poussif tiré par une vieille Pacific 231 à vapeur, roulant à « un train d’enfer » pour l’époque, alors que nous prônions un Planétran (le projet de train hyperrapide de l’époque) et devrions aujourd’hui nous préparer à monter dans un Hyperloop ou autre Spacetrain…

La modernité réside-t-elle seulement dans la possibilité de faire pareil (ou même moins bien) en le faisant à distance et de façon dématérialisée ? Cette question ne mériterait-elle pas débat ? Et puisque « nous sommes » l’acte, c’est bien à chacun de nous, et non à un « groupe de notaires » dont l’existence même pourrait être purement fictive puisque jamais leur identité n’est révélée, que cette question s’adresse….

 

(1) le notaire c’est l’acte authentique.
(2) notaire librement choisi, naturellement toujours librement révocable, mais que le premier agent immobilier ou conseil intéressé venu ne pourrait donc plus évincer comme il est de plus en plus courant de le voir !

                         

                                  Didier Mathy
Notaire à Sagy (71)