D’ordinaire on appelle à… l’unité. La diversité étant le contraire, appeler à la diversité sent le soufre. Mais est-ce si sûr ?
Quand on observe le réel, on constate que tout est diversité. C’est la diversité du monde où, si on laisse faire, régnera la division. Au contraire, pour progresser vers un but, il faut synthétiser, résoudre la diversité en unité. Résoudre et non dissoudre, sinon l’unité devient totalitaire ! Exemple : place Tien An Men, 4 juin 1989 : une colonne de chars, un étudiant. L’unité, est-ce la solitude de l’étudiant ou l’omniprésence des forces de l’ordre ? La force, est-ce l’unité de chars ou une division blindée ? L’étudiant, est-ce l’unité d’un mouvement ou la division du pays ? Comment s’y retrouver ? On n’en sort pas : difficile de mettre unité et diversité dans une relation vertueuse. Alors tentons de voir autrement : abandonnons unité et diversité ; regardons ce qu’on trouve entre les deux…
Dans le notariat
Comme d’habitude, le notariat est un excellent terrain d’observation des choses humaines : un monde d’une grande diversité où l’on entend toujours les instances invoquer l’unité. Mais quels sont donc les outils pour passer de la diversité à l’unité ou de l’unité à la diversité ? De fait, la diversité notariale s’observe dans deux domaines distincts :
- d’un côté, le domaine du discours : certains critiquent et d’autres applaudissent.
- d’un autre côté, le domaine de la fortune : certains se battent pour survivre, d’autres se défendent d’accaparer du capital.
Ordre du discours, niveau de fortune, ces deux dimensions quadrillent le réel notarial entre des extrêmes et avec tous les degrés intermédiaires. Or, comment prend-on en compte le discours et la fortune des notaires dans le notariat ? La question nous renvoie à deux thématiques de la gouvernance : démocratie et solidarité.
La diversité dans l’unité : la démocratie
La démocratie, c’est l’art de tenir compte de la diversité des discours. Elle est fondamentale car le discours et l’échange d’idées permettent de trouver des solutions pour s’adapter aux évolutions du monde. La promotion de la diversité des discours, l’organisation qu’on met en place pour entendre la plus petite voix sont fondamentales pour la vitalité de toute organisation. Et il faut structurer les échanges afin que les débats ne dégénèrent pas en cacophonie. De quoi dispose-t-on dans le notariat pour promouvoir les idées neuves ? Le Facebook de Sandra Monteil, « tu es notaire ou tu es clerc si… » avec plus de 22000 abonnés. La boite à idée du portail Réal. L’Assemblée de liaison. L’AG du CSN. Notariat 2ooo. Le Syndicat. Le Mouvement Jeune Notariat. Le forum de Res-iste. Pléthore de supports !!! Pour quels résultats ? Si l’on prend l’exemple du tarif – question débattue à un moment ou à un autre sur chacune de ces agoras – qu’est-il advenu des propositions qui en sont sorties ? Quelle diffusion en a été donnée ? Je n’ose répondre… car je n’ai pas de statistique. En revanche, j’en ai concernant l’Assemblée de liaison… Session 2016, sous la présidence de Philippe Clément, Xavier Ricard, rapporteur général de la 67e session, réalise la prouesse de concrétiser l’appel de l’équipe à davantage de démocratie et de transparence. Réponse du bureau du CSN :
- élection des présidents de chambre au suffrage universel des membres de Compagnie : NON !
- élection du président du CSN par les notaires de France : NON !
- élection du président de l’AL par les délégués : NON !
- envoi de l’ordre du jour et de la doc aux délégués CSN 15 jours avant le vote : NON !
- création d’un comité de suivi des propositions de l’AL : NON !
- création d’un organe de débat structuré dans le notariat (Proposition libre présentée par Stéphanie Blin et moi-même, adoptée par l’AL !) : NON !
Bref : non à la démocratie … L’optimisme indéfectible de Xavier Ricard, rapporteur général, souligne néanmoins un progrès : l’appel systématique à candidature (Journal de l’AL, n° 72, mars 2018, p. 26). À nous de nous en emparer !
L’unité dans la diversité : la solidarité
La solidarité, c’est l’art de tenir compte de la diversité de fortune. De ce point de vue, la profession s’est longtemps évertuée à éviter un accaparement du capital par de trop gros offices : échec. Et faute d’avoir réussi à éliminer les gros, on cherche désormais l’unité en éliminant les petits… Marche ou crève. Il est tout autant irréaliste d’espérer supprimer les petits et amincir les gros. Il faut de tout pour faire un monde : des gros, des petits et des moyens. Certes, ce n’est pas facile à gérer, à équilibrer : éviter le collectivisme consistant à éliminer les gros et se garder du libéralisme qui tend à l’élimination des petits. La solution, c’est la solidarité. C’est très subtil et là est le problème… Quel petit peut arriver à comprendre que les gros sont légitimes ? Quel gros peut arriver à admettre que le petit est indispensable ? Quel moyen peut arriver à accepter qu’il n’est pas le modèle idéal ? Certes, une troïka de petit-moyen-gros pourrait arriver à engendrer la solidarité mais, sourd aux appels, le notariat préfère tirer dans la foule à balle réelle : écrêtement, facturation à la prestation, franchise assurance, cotisations de base, promotion visioconférence, plume unique… Toute l’évolution notariale n’est que négation de la solidarité !
Qui est pour ?
C’est donc clair : dans le notariat, on veut imposer l’unité sans démocratie ni solidarité. Pourtant l’équation est simple : unité <=> diversité x (démocratie + solidarité). Si la démocratie ou la solidarité manquent, alors la division prendra toujours le pas sur l’unité. Acceptons donc la diversité notariale et gérons-la avec démocratie et solidarité. Qu’on nous parle moins d’unité et qu’on agisse plus pour la démocratie et la solidarité dans le notariat ; alors, l’unité jaillira d’elle-même de la diversité. Qui est contre ? Qui s’abstient ?
Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme