Comment les notaires « de base » appréhendent-ils le « Tsunami Macron » et que vont-ils mettre en place dans leurs études pour faire face à l’évolution de la profession. Enquête express.
Question 1 : Qu’allez-vous mettre en place dans votre étude ?
De nombreux notaires attendent encore de savoir à quelle « sauce bercyenne » ils vont être mangés pour prendre des décisions. Pour la majorité des notaires, le « tsunami Macron » va impliquer des petites ou grandes révolutions internes. Pour certains (essentiellement les petites études individuelles), la solution passe souvent :
- soit par le licenciement (des clercs habilités notamment). « Je me suis installé en 2010 et je ne connais donc que la crise, toutes les mesures d’amélioration de rentabilité ayant été prises (…), la seule option qui me reste est le licenciement de collaborateurs » nous dit-on dans la Meuse.
- soit la fusion avec des études voisines (voire avec un cabinet d’avocat !) ou, à défaut, le renforcement de la coopération avec d’autres petites études (comme l’envisage Alain Kroely, Haute-Savoie).
- soit le déplacement « progressif » de l’étude dans une « zone plus dynamique » (« en créant des bureaux annexes si la loi le permet » nous dit-on).
Pour d’autres, faire face à l’évolution de la profession implique :
- la mise en place d’un service client « plus poussé » (sur le modèle de la family office par exemple), d’installer des plages horaires pour les RDV de conseil, d’offrir un suivi des dossiers en ligne, d’ouvrir 6 J/ 7, d’envoyer régulièrement des lettres d’infos, d’innover en remettant par exemple les titres de propriété sur clé USB…
- le développement de nouvelles activités (expertise, négociation, droit des affaires et entreprise, GP…).
- la création d’une structure plus concurrentielle (SEL).
Partout (ou presque), notre panel de notaires prévoit de facturer les prestations jusqu’à présent non tarifées. « Je suis dans l’impossibilité de recevoir des actes pour lesquels je perds de l’argent, témoigne un notaire lorrain. Et de conclure : « Je ne suis pas sûr d’aimer mon métier dans ces conditions ». Pour Hugues Bourdot (Calvados), cela se fera « en concertation avec les confrères les plus proches ». Enfin, beaucoup envisagent un traitement des dossiers juridiques à deux vitesses avec un service « law cost » et « prémium ».
Un peu d’humour…
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, quelques notaires ont rivalisé d’imagination. Ainsi, certains envisagent, avec humour, de mettre en place une « promo du mois » avec campagne de communication sur affiches fluo, tandis que d’autres proposent de prendre en charge les frais de crémation pour toute succession confiée à l’étude ou encore de rembourser la robe de mariée suite à la régularisation d’un contrat de mariage ! De son côté, Doris Nunez (Vaucluse) envisage « d’offrir un service petit déjeuner pour les rendez-vous matinaux, un apéritif et un déjeuner pour les rendez-vous entre 11 h et 15 h, un ‘cup of tea’ pour ceux de l’après-midi et un apéro dînatoire pour les rendez-vous de fin de journée ! ». Comme dit le proverbe, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre !
Question 2 : La déontologie doit-elle être adaptée ? OUI : 67 %
La majorité des notaires interrogés veulent faire « évoluer » la déontologie. « La rupture de l’égalité dans les conditions d’installation fait qu’on ne peut plus continuer à respecter tous les mêmes charges déontologiques » explique un notaire de Dordogne. Quatre grands volets méritent, selon notre panel, d’être revus :
- les inspections qu’il faut redéfinir (Philippe Rouhette, Savoie), voire arrêter (Gauthier Martin, Meuse). À défaut, quid des inspections des structures multi-professionnelles (si elles existent un jour) ?
- la pub et le démarchage commercial qu’il convient d’autoriser pour « chaque entreprise » : « Si nous avons vocation à devenir des commerçants, il nous faut une déontologie de commerçants » écrit François Degos (Gironde). « Si on nous ouvre la concurrence, il serait temps de faire enfin de la pub pour nos offices » (Me Thomasz, Vienne)
- les règles du concours et les conditions de la participation qui doivent être simplifiées (« il faudrait imposer la règle unique du notaire vendeur », Hugues Bourdot, Calvados)
- la facturation pour chaque prestation, consultation et communication qui doit être systématisée.
Question 3 : Avez-vous lu l’avant-projet de décret ? OUI 69 %
« Illisible », « tissu d’inepties », « un torchon », « une nébuleuse », « du vent dans les tuyaux » « ne brille pas par sa clarté »… l’avant-projet de décret, transmis par le président du CSN, n’a pas convaincu notre panel qui, lorsqu’il l’a lu, n’y a souvent « rien compris ». « Que signifie une juste rémunération en adéquation avec le travail fourni ? » s’interroge un notaire d’Ille-et-Vilaine. « Outre le fait que c’est du grand n’importe quoi, je suis curieuse de voir comment ils vont arriver à mettre en adéquation nos actes avec leurs coûts pertinents et une rémunération raisonnable » renchérit Evelyne Beaume (Vaucluse). De son côté, Roula Helou (Alpes-Maritimes) trouve « effarant que nos énarques arrivent à pondre des textes aussi incompréhensibles et que des personnes au CSN soient payées pour l’expliquer de façon aussi incompréhensible aux notaires ». Pour beaucoup, le décret devrait prévoir un système de péréquation par type d’acte pour assurer le service public notarial et le maillage territorial.
À noter
- Seulement 27 % des notaires interrogés ont eu connaissance des contre-projets tarifaires proposés par des notaires. Il s’agit généralement du projet porté par Etienne Dubuisson et Didier Mathy. Lorsqu’ils en ont eu vent, ils adhèrent car, comme le souligne un notaire du Finistère, « on ne peut plus faire fi d’une réelle péréquation« .
- 81 % des notaires interrogés estiment que pour le bien de la profession, le CSN devrait proposer un contre-projet au gouvernement s’inspirant de ceux proposés par les notaires « de la base », ces derniers étant « les mieux placés » pour faire des propositions assurant la pérennité du notariat. « C’est la base qui connaît le mieux les conséquences tarifaires » commente un notaire de Rhône-Alpes. En revanche, politiquement, il est souhaitable que les propositions ne soient portées que par le CSN. Quelques voix, comme celles de Roula Hélou ou de Me Royol (Bouches-du-Rhône), en profitent pour inviter le CSN à « ouvrir davantage ses yeux et ses oreilles », le CSN ayant pour manie de « toujours décider seul, sans consultation et avis de la base ».
Question 4 : Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?
Notre panel prédit, dans sa majorité, une adaptation difficile les premières années. L’avenir est incertain tant que des emprunts sont à rembourser. Pour François Degos (Gironde), seule une grève générale des 9 500 notaires de France peut permettre au notariat de se faire entendre. « Je crains que nous soyons loin d’une telle initiative, poursuit-il. Ne jouons pas les pleureuses si nous perdons la bataille du décret après avoir perdu celle de la loi, le tout sans avoir combattu ». Un peu partout, chacun convient que le métier de notaire tel qu’il a existé jusque là est mort et qu’il faut s’attendre à une certaine concurrence. « Le nouveau visage du notariat est pour l’instant dans le brouillard, mais il sera très différent » (Nadia Boulet, Haute-Savoie). Quelques-uns (unes) dont Lucie Le Strat (Morbihan), veulent garder espoir. « Il y a mort du Notariat tel qu’il m’a séduite, écrit Doris Nunez, mais pas mort d’homme ni maladie mortelle ! ». Le mot de la fin revient à ce notaire de Seine-et-Marne : « Deux solutions s’offrent à nous aujourd’hui : soit on baisse les bras, on attend les nouveaux installés et les nouveaux sites internet (tripvasor.notaires.fr) et on meurt tranquillement ; soit on se bat. Personnellement, j’ai choisi la deuxième solution ! »
Enquête réalisée début octobre auprès d’un panel de notaires répartis sur toute la France.