L’explosion des inégalités sur la planète, phénomène très préoccupant pour nos économies, vient de s’inviter au Forum économique de Davos à la suite des recherches menées par des économistes du monde entier. Que contient de si important cette radiographie portée à la réflexion des grands décideurs du monde politique et économique ?
Un rapport sur les inégalités mondiales, œuvre d’une centaine d’économistes basés sur tous les continents, est paru le jeudi 14 décembre 2017. Il fait suite au livre de Thomas Piketty, « Le Capital au XXIe siècle« , qui mettait en lumière le phénomène de l’évolution des écarts entre riches et pauvres. Paru en 2013, le livre a connu un succès mondial ; il a été vendu à 2,5 millions d’exemplaires. Le rapport finalise un travail extrêmement approfondi couvrant près de 40 années et s’étendant sur 70 pays. Il revient sur l’augmentation « excessive et néfaste des tendances inégalitaires », tant en terme de revenus que de capital.
A qui profite la croissance des revenus ?
La croissance des revenus, depuis les années 80, a d’abord profité au top 1 % des personnes les plus riches du monde (qui en a capté près de 30 %) alors que la moitié plus pauvre n’en récoltait que 10 %. Cet écart de croissance est plus ou moins considérable suivant les pays. Il atteint même un maximum au Moyen-Orient où les 1 % les plus riches ont récupéré 60 % de l’augmentation des revenus de leur contrée. Mais les auteurs de ce rapport sur les inégalités mondiales insistent sur « La divergence particulièrement extrême entre l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, qui avaient des niveaux d’inégalité comparables en 1980, mais se trouvent aujourd’hui dans des situations radicalement différentes ». L’explication se trouverait dans les disparités assez considérables en matière d’éducation (les universités étant beaucoup plus coûteuses aux États-Unis), conjuguées à une fiscalité américaine de moins en moins lourde pour les hauts revenus. Les grands donateurs du parti républicain sont même particulièrement choyés par les mesures prises par Donald Trump.
Écarts de patrimoine dans le monde
Au niveau des écarts de patrimoines, qui dépendent des revenus accumulés parfois sur plusieurs générations, il est étonnant de constater que la valeur du patrimoine privé, en pourcentage du revenu national, a doublé dans tous les pays riches. Il a même triplé en Russie et quadruplé en Chine entre 1995 et 2015. En France et en Angleterre, cette croissance a été plus modérée grâce à des revenus moindres et à un patrimoine immobilier plus important dans la classe moyenne. Mais ce qui apparaît le plus redoutable dans ces augmentations incroyables de fortune des plus riches, c’est l’appauvrissement concomitant des États. Dans la plupart des pays et durant ces dernières décennies, d’importants transferts du patrimoine public vers le privé se sont en effet produits par le jeu des privatisations. C’est notamment le cas des États-Unis et de l’Angleterre où la valeur du patrimoine public net de dettes, est devenue inférieure au revenu national tandis qu’il est tout juste positif en Allemagne, en France ou au Japon. Cette situation note aussi les auteurs du rapport « limite vraisemblablement la capacité d’action des États contre les inégalités ». A ce propos, on peut s’interroger sur les avantages procurés aux États par la vente des biens publics lorsque les taux d’intérêts sont faibles, voire négatifs. Cela réduit alors faiblement le paiement des intérêts liés à la dette ainsi remboursée, tout en privant l’État de revenus beaucoup plus importants.
L’Europe, un modèle ?
Dans les démocraties, il vaut d’ailleurs mieux compter sur la richesse des États que sur celle des particuliers pour vaincre la pauvreté, sauf peut-être quand les États sont gouvernés par des milliardaires. En France, 80 % de la réduction des inégalités passe par les dépenses publiques, et seulement 20 % par la fiscalité. Cela limite d’autant les conséquences des mesures prises pour les plus riches. En dépit du timide intérêt que semble nourrir la classe politique pour les problèmes d’inégalité de traitement entre riches et pauvres, notre pays, comme l’Europe prise dans son ensemble, peut encore servir de modèle au reste du monde. « Si tous les pays suivent la trajectoire d’inégalité relativement modérée dessinée par l’Europe ces dernières décennies, les inégalités de revenus dans le monde pourront diminuer – ce qui constituera aussi un grand pas en avant vers l’éradication de la pauvreté dans le monde », concluent Lucas Chancel et Thomas Piketty, coordinateurs de ce rapport.
Bernard Thion