Ainsi donc, depuis mai 2014, la profession descend lentement mais sûrement en enfer. On avait appris de notre instance nationale que ce serait long et, pour une fois, elle avait eu totalement raison. Nul ne voyait rien de positif dans la révolution entamée, pas même ceux qui avaient allumé des brûlots pour attiser une profession du droit unifiée et libérale. D’échanges avec moult confrères, il m’est venu l’idée de comparer ce cheminement à celui, si parfaitement dépeint, des Carmélites qui montèrent à l’échafaud durant la Terreur. Et si j’ai conscience de l’outrecuidance qu’il y a d’aligner ces quelques mots sur ceux du géant Bernanos, je serai un peu pardonné si l’envie vous vient, du coup, d’aller (re)lire l’original et sublime « Dialogue des Carmélites ».
Un cri déchira le silence qui s’était installé au milieu des chants et psalmodies invoquant le Salut pour tous : « Je ne veux plus entendre parler de tout cela ! ». Chacun reconnut la voix de Sœur Sandra Apassionata. Et nul ne pouvait disconvenir qu’elle avait raison. Comme elle, on était tellement las d’un combat si long ! On était si déçu de l’enthousiasme perdu ! Si dépité d’arriver au bord d’un échafaud lugubre qui n’augurait rien de bon. Chacun mesurait maintenant pour soi ce que Sœur Sandra avait enduré, tous impressionnés qu’elle ait anticipé les épreuves sans broncher et qu’elle soit fièrement là, debout, comme regardant l’échafaud droit dans les yeux, s’il en avait eu.
Le pesant silence de nouveau installé, c’est Sœur Marianne de la Confraternelle Probité qui donna sens au cri de sa consœur, si fidèle à la constance qui l’avait toujours habitée : « ce n’est qu’un mauvais moment de plus à passer comme on en a tous eu et je suis convaincue qu’en faisant ce qu’il faut au moment où il faut, on s’en sortira, c’est tout ce que je nous souhaite, mes chères consœurs ».
Un genre de dialogue se noua alors avec celle des sœurs qui était la plus jeune des recrues. Même si la novice Marie-Agnès de Furibardise ne répondait pas spécialement à son ainée Marianne, on le crut : « Ah, c’est qu’on ne va pas se laisser faire comme des brebis ; il n’y aura pas de méchoui sans que mes cris de révolte provoquent l’effroi de ceux qui porteront la main sur moi ! ». Et on savait tous qu’il ne faudrait pas mettre cette parole en doute…
Deux autres nonnes qui, faute de place au carmel, étaient associées dans la même cellule, Sœur Anne de la Douceur Efficace et la révérende Mère Agnès de la Révolte Éternelle, en appelaient à leur confesseur Frère Jean-François de la Retraite Fleurie : « Frère, brûle à notre mémoire tous les cierges que tu pourras… » priait Anne à tue-tête « … et fous le feu à l’échafaud tant que tu y es ! » compléta Mère Agnès qui, ce faisant, inonda la foule crispée d’un fou-rire salvateur où les plus sérieux décryptèrent la véritable utilité des cierges que Sœur Anne espérait voir venir !
L’attention étant détournée et l’état d’esprit plein de hardiesse, c’est Sœur Stéphanie de l’Espoir Tous Azimuts, coutumière d’actions destinées à tourner la situation à l’avantage de tous, qui mit sa pierre au salut collectif ; un petit mot qu’elle avait griffonné fut distribué à chacune où l’on pouvait lire « à mon signal, on retrousse nos bures, on se rue sur l’échafaud et on annonce qu’un nouvel ordre est établi : le nôtre ! ». Les observateurs n’avaient pas pu comprendre pourquoi, mais ils s’aperçurent bien qu’à l’évidence, nos nonnes étaient tout à coup comme illuminées, les yeux pétillants, avides de connaître ce monde nouveau que la fraîcheur souriante de Sœur Stéphanie leur indiquait avec clarté.
Mais on arrivait déjà au terme du sinistre parcours. Du moins Sœur Laurence de l’Association venait-elle d’atteindre le pied de l’échafaud. Elle se trouvait en tête de file en effet ; non qu’elle se soit délibérément imposée à cette place, mais par l’effet d’un instinct de chacune des consœurs de l’y laisser, qui estimaient que nulle autre ne pourrait donner meilleur exemple en la circonstance. Et Sœur Laurence ne déçut pas : « Mes chères consœurs, je ne sais quelle sera la destination de ce prochain voyage qui nous attend, mais quelle qu’elle soit, je me réjouis parce que c’est ensemble que nous l’accomplissons ».
Le sort en serait donc jeté bientôt… L’incertitude du destin était au paroxysme, mais on ne pouvait pas douter de son issue. Du moins ceux qui savaient la valeur personnelle de chacune de ces exceptionnelles consœurs que l’histoire chahutait injustement, exceptionnels échantillons de tant d’autres sœurs partageant la même vocation.