Il y a quelques mois maintenant a eu lieu le congrès de Lille. Les travaux étaient remarquables. Mais l’essentiel n’est pas là, ni non plus dans l’intervention du professeur Malaurie proclamant que la civilisation ce n’est pas le droit mais la courtoisie, ni dans le passionnant débat en guise de 4e commission ! Non, le plus fort, c’est l’incontournable Maroilles, qui provoque des interactions fantastiques lorsqu’on en tartine le notariat.

 Maroilles un jour, maroilles toujours

 Innovation au Congrès de Lille-2017 : l’adoption (ou le rejet) des propositions se fit au moyen d’un vote par message envoyé à partir du téléphone portable de chaque notaire. Un précédent astucieux. Une innovation technologique qui interpelle toute structure de pouvoir sur la place qu’elle réserve à la démocratie. Le notariat peut-il courageusement s’interdire cette question ? Car enfin, si on peut ainsi voter par texto pour ou contre les propositions formulées par le Congrès, ne peut-on pas aussi voter de cette manière en AG de compagnie ? ou pour élire les délégués au CSN ? ou pour que l’assemblée du CSN délibère sur les décisions de son bureau ? Et si la réponse est positive, ne peut-on pas élargir la base des voix consultées jusqu’à l’ensemble des notaires du ressort de l’instance concernée ? D’insurmontables difficultés pratiques pour déplacer tout le monde empêchent la démocratie de s’exprimer directement ; mais si la technique dissout ces difficultés, d’où vient que la démocratie ne soit pas mise en œuvre directement ? Y compris des votes par catégories de notaires pourraient être organisés, selon le sous-groupe concerné par les règles à appliquer. Et pourquoi pas ? La décision notariale serait-elle incompatible avec la démocratie ? Par contre, en observant les résultats des votes électroniques, une réflexion surgit : on n’empêchera pas de se développer le sentiment qu’une proposition adoptée à 99 % ou 100 % vaut mieux que celle adoptée à 51 %. Or ce sentiment contrarie une règle de la démocratie ; il perturbe l’efficacité du pouvoir de la majorité. Pouvoir qui fait l’essence même de la démocratie et qui émerge sans conteste de l’adoption d’une proposition à 50 % + 1 voix. Alors ? faut-il pour le coup jeter le bébé démocratie avec l’eau du bain efficacité ? On peut plutôt chercher à renouveler la conception de la démocratie à l’aune des nouveaux moyens techniques. Et s’orienter vers la démocratie participative, qui est bien plus positive. En dépassant la brutalité du vote pour ou contre, tout ou rien, les votes numériques permettent d’offrir le choix entre plusieurs propositions, que le vote numérique permet de classer instantanément en pourcentage, celle qui recueille le chiffre le plus fort étant adoptée. De l’affrontement on se dirige vers le débat. Voilà qui constitue un vrai progrès de démocratie et partant, de cohésion pour le groupe régulé par un tel procédé. Cela suppose néanmoins la structuration d’un débat ouvert. Et je rêve que la profession notariale puisse être la première à être dotée d’une telle régulation. Un autre congrès, celui du MJN qui se tint à Buenos-Aires en 2016, a montré que les moyens existent pour servir de telles ambitions… pour peu que la Profession se les donne ! Or l’identité de la profession, ce sont les valeurs de la République en commençant par le progrès, le débat et l’efficacité. Maroilles un jour, maroilles toujours, dit-on…

Le maroilles dans les chaussettes

Vent de panique au Congrès de Lille 2017 : et si les blockchains (qui pourraient remplacer la monnaie d’État par des unités de valeurs d’échange) remplaçaient l’autre dimension régalienne qu’est l’authenticité ! Certes, l’équipe du Congrès a fort bien montré qu’en raison du déficit technique des blockchains et de la puissance étatique de l’authenticité, le remplacement de la 2ème par les 1ères n’était pas sérieusement concevable. Certes. Mais attention aux raisonnements quantitatifs car les progrès vont vite pour réparer les défaillances des systèmes technologiques ; tandis que le désengagement de l’État dévale aussi vite en sens inverse la pente d’un abandon de la régulation des rapports privés (quoiqu’en dise la ministre, entre le tirage au sort, les progrès du libéralisme dans le tarif et le retard dans l’administration des cessions, l’État ne renforce pas l’authenticité…). Alors, le match blockchain/authenticité sera-t-il arbitré de la même manière dans 5 ou 10 ans ? Qu’adviendra-t-il du notariat si les blockchains l’emportent ? Remarquons d’un autre côté que l’État n’a pas toujours existé ; avant le 13ème siècle, bien avant que l’État ne remporte la bataille de Villers-Cotterêts, c’étaient des groupes privés qui donnaient force « exécutoire » aux décisions collectives : familles claniques, jurandes, corporations, congrégations, parce qu’elles étaient organisées méthodiquement, permettaient de réguler les comportements humains si prompts à s’éparpiller. L’État n’a finalement fait que pomper le mode de fonctionnement et l’autorité de ces groupes privés de régulation pour devenir lui-même le plus fort : et sa victoire fut scellée dans l’Ordonnance d’août 1539.  Si l’État perd de nos jours en puissance tutélaire faute de capacité à payer ses agents (comme cela arriva à la fin de l’Empire romain…), un boulevard est ouvert pour que des groupes privés s’organisent à un niveau technique permettant de dévier les résurgences d’insécurité : et voilà nos blockchains !? Le notariat ne doit-il pas prendre les devants pour en constituer une en matière de preuve des transferts de droits ?! Ce serait bon pour le… maroilles !

Maroilles du soir, espoir

Surprise et même stupeur : en page 702, le rapport du 113ème Congrès rapporte la défiance de Socrate à l’égard de l’écrit. Le notariat se trouverait-il du côté obscure ? Le cas est grave. Ignorant l’existence de cette position socratique, je fus navré de n’en pas trouver les références dans le rapport. Mais c’était là une nouvelle astuce pour nous attirer vers le débat du mercredi matin : Raphaël Enthoven, l’enthousiaste philosophe, y rappela le Phèdre de Platon et la critique selon laquelle l’écrit nuit aux facultés de l’esprit en rendant l’humain fainéant dans l’effort de mémoriser. Voilà pour la référence socratique. Mais notre philosophe rappela aussi que le propre de l’humain, ce n’est pas comme chez l’animal d’intérioriser en son corps une spécialisation pour s’adapter à l’évolution, c’est au contraire d’extérioriser, dans l’outil conçu à cette fin, les moyens de se développer. Sautons du coq à l’âne : munis des réflexions de Socrate et d’Enthoven, examinons un notaire. Le notaire fait signer un acte écrit. Certes. Mais comment, au quotidien, faisons-nous comprendre cet écrit ? En laissant les clients le lire ? Quelle horreur ! il n’y a pas pire dégoût que celui que nous inspire le client qui réclame de lire l’acte. Mais alors comment faisons-nous ? Lisons-nous l’acte « texto » par une lecture servile des phrases écrites ? Là aussi, c’est inimaginable : ce serait le comble du désagrément notarial voire même de l’anti-déontologique, le client ne comprenant rien à la langue juridique ni donc à l’acte lu mot à mot. Non, ce que nous faisons, et c’est fort bien, c’est d’expliquer oralement l’acte qui se présente de manière écrite. Nous l’explicitons oralement. Nous sollicitons des clients leurs questions éventuelles avant de signer, des questions orales bien entendu. Et nous quêtons la validation de l’acte par ces mêmes clients au moyen de leur approbation qui, sauf aphasie ou aphonie, emprunte la forme verbale d’un consentement oral. Alors seulement nous procédons à la formalité des signatures, des scribouillages… À ce stade, permettons-nous un détour par Édimbourg au Congrès 2017 du MJN : objectif zéro papier. Et posons une question : pourquoi couper le cordon ombilical du papier est-il si difficile aux notaires ? Ce n’est sans doute pas qu’une question de support. C’est une question plus organique car : qui dit écrit dit papier. Non ! rétorqueront les inconditionnels du numérique : « on peut faire de l’écrit sans papier, c’est justement cela l’acte électronique : c’est un écrit numérique ». La belle affaire. C’est comme si pour rassurer quelqu’un qui a peur de prendre l’avion, on lui disait que l’avion c’est une voiture qui vole… Ben voyons ! Bas les masques, il faut appeler un chat un chat : le support numérique n’a rien à voir avec le support papier et ce n’est pas en nous faisant croire que c’est de l’écrit qu’on sera rassuré par l’électronique. Le numérique, ce n’est pas plus de l’écrit que… que… ? de… de L’ORAL ! L’oral !? voilà qui commande un  retour brutal d’Édimbourg à Socrate. Eh oui !!! La puissance numérique rend possible la conservation de l’oral aussi bien que la conservation de l’écrit. Lors de la précédente révolution – celle du passage des paroles (qui s’envolent) à l’écriture (qui reste) – l’écrit était LA technique de conservation du langage oral. Chaque nouvelle technologie de mémorisation doit nous interpeller sur sa capacité à mémoriser l’expression, je dirais primaire, c’est à dire celle qui est naturelle à l’humain : la parole ! Socrate évalua la 1ère technique que fut l’écrit ; nous nous devons d’évaluer la 2ème technique qu’est le numérique. L’écrit n’est pas naturel à l’homme, c’est la parole qui l’est. D’où la question centrale : le numérique a-t-il un rôle à jouer pour réguler l’expression orale des humains ? Comme aucune mission ne fait peur au numérique, gageons que la réponse est positive. De fait, que gagnerait-on en offrant le verbal au numérique ? On serait beaucoup plus riche en transmission de subtilités, en précision dans les détails, en conformité à la volonté à compulser numériquement l’échange verbal plutôt que sa pâle imitation écrite. On ne l’a pas fait jusqu’ici car la conservation sonore de paroles enregistrées n’était pas fiable pour mémoriser, transporter, sécuriser et restituer des paroles à l’infini dans l’espace et dans le temps. Par contre le numérique en est capable. Et le verbal, que le numérique peut si bien gérer, est l’exact opposé du papier, parce que les paroles sont l’inverse de l’écrit. Et à redonner ainsi la préférence socratique du parler sur l’écrit, l’horizon zéro papier se dégage clairement. Pour atteindre l’horizon zéro papier, c’est dans l’avion de l’échange oral qu’il faut embarquer le notariat plutôt que de s’acharner à faire voler numériquement la voiture de l’échange écrit. Visons l’oral numérique, l’acte verbal authentifié ! Passons du notaire au laudataire… L’acte verbal en équilibre entre, d’une part, les contrats verbis du droit romain (qui pêchaient par excès de concision formelle impropres à rendre compte des subtilités) et, à l’inverse et d’autre part, les palabres dans lesquels dégénère le discours lorsqu’on veut avoir raison de l’autre en l’inondant de phrases. Un acte relatant l’échange verbal où les paroles sont vérifiées, conservées et attestées par un maître du discours. L’acte d’un notaire qui ne note plus mais qui fait louange, qui réalise l’éloge des paroles, qui les taille à la juste mesure. Un acte verbal authentique et numérique donc. Alors, Socrate avait bien raison : l’oral peut redevenir meilleur que l’écrit. Certes l’écrit nous a bien aidés depuis le scribe de Pharaon, en passant par Guttenberg et Bill Gates, mais maintenant il nous pollue. Alors revenons à la nature humaine, à la parole. Une parole objectivée par une mémoire extériorisée grâce à l’outil numérique ; procédé d’extériorisation de la mémoire qui renforce la spécificité de l’évolution humaine. Ouf, Socrate n’est pas près de mourir. Tant mieux car j’étais bien mal à l’aise à l’idée de me trouver du côté de ceux qui lui servent la cigüe de l’écrit. Et puis de toute façon, verbal rime avec maroilles.

Un maroilles peut en cacher un autre…

Alors réservons TOUT DE SUITE dans l’agenda celui de Cannes du 27 au 30 mai 2018 ! Et côté culinaire, si les petits plats se rapportent à la météo, Cannes sera sans doute le phénix des hôtes du Congrès. Cette leçon vaut bien un fromage…

Etienne Dubuisson, notaire à Brantôme (24)