L’unité dans le notariat existe-t-elle réellement ? C’est la question que nous avons posée à un large panel de notaires. Un sujet qui fait débat si on en croit le nombre de réponses obtenues (près de 300 réponses). Enquête.

Certains lui préfèrent le mot « solidarité », même si, comme le souligne Grégoire Bauchy (45), un socle d’unité est nécessaire en ce qui concerne le tarif et les bonnes pratiques professionnelles. D’autres regrettent qu’elle soit « assimilée à l’uniformité, y compris au sein de la profession ». Mais pour (presque) tous, « l’unité est d’abord un état d’esprit ». Elle est jugée « nécessaire », « c’est la force de la profession », même si jugée « superficielle ». « L’unité dans la profession n’est que de façade » nous dit-on en leitmotiv et « les instances cachent ces fractures pour éviter de les régler ».

1. L’unité existe-t-elle ?

74 % des notaires interrogés estiment qu’il y a unité entre les hommes et les femmes et 51 % entre les jeunes et les vieux. En revanche, rien ne va plus lorsqu’il est question d’unité entre les notaires des villes et ceux des champs (79 % d’avis négatifs), les notaires installés et les notaires Macron (86 %), les petites et les grosses études (77 %). « Chacun pense prioritairement à sa gamelle à remplir au quotidien » résume Pierre Chenard (17). « L’épisode de la lutte contre la loi Macron a démontré que les caciques parisiens ont œuvré en coulisse directement avec les preneurs de la décision pour protéger leur pré carré pendant que la masse se faisait berner en défilant dans les rues derrière le CSN ».

Pour « jouer » la carte de l’unité, 4 leviers.

  • Moderniser les structures. Le notariat a besoin d’un « dynamisme nouveau, d’innovation pour redorer son image auprès du public ». Au niveau des représentant de la profession, «une désignation plus démocratique des représentants de la profession » (élections ?) serait un bon début. A ce propos, Christian Godard (77) déplore que le CSN n’ait pas « une vision claire de l’avenir ».
  • Respecter la déontologie et mettre en place des sanctions efficaces (Assurance assortie de bonus/malus ?). Jean-Luc Maitre (13) se demande comment rester unis lorsque les instances ne peuvent faire respecter de simples règles de confraternité. Les valeurs sont importantes, il faut se recentrer sur elles. La déontologie doit être appliquée strictement (Jacques Boutefeu, 98). A défaut, il faut mettre en place des sanctions lourdes et immédiates, autres que le blâme collectif ou la destitution (Michel Mazet, 34). Bertrand Cuille (30) parle de « sanctions exemplaires » pour les notaires indélicats qui « continuent à exercer alors que ce sont des voyous notoires ».
  • Accepter les jeunes, créateurs tirés au sort ou non, sans stigmatiser. Il faut intégrer les notaires Macron avec, comme première règle, d’arrêter de les appeler ainsi (Nathalie Andrier, 74). Pour Benoit Tardy (33), « il est indispensable de rappeler que les notaires nommés par le biais de la loi Croissance ont le même diplôme et le même cursus que les autres, qu’ils n’ont pas choisi ce mode de nomination et que la survie de la profession nécessite d’être attentifs à leur intégration et à leur accompagnement». Selon lui, « l’unité de la profession est en jeu et sans elle, tous les combats à venir risquent d’être délicats ».
  • Créer un système de péréquation des rémunérations « entre les actes les plus rémunérateurs et ceux qui le sont moins, voire pas». Rachel Verhée (45) a le sentiment que « les petits notaires deviennent la poubelle des gros qui refusent (enterrent) les dossiers à perte et tentent en plus de siphonner les dossiers rémunérateurs des petits ». Pour Olivier Thinus (51), « la défense d’un tarif proportionnel a pris le pas sur la défense d’un tarif permettant à chacun de vivre. Cette défense d’un tarif proportionnel s’appuie sur un tarif à bon marché pour les actes portant sur de faibles valeurs. Or, ce ne sont pas les mêmes études qui rédigent les actes de vente de friches à 500 euros et les actes de vente villas à 1.000.000 euros. La solidarité tend donc à rendre les plus défavorisés solidaires des plus favorisés alors que ce devrait être l’inverse ». De son côté, Jacques Le Bouvier (17) constate que « le fossé se creuse entre le notariat urbain et les littoraux d’une part et le notariat des territoires ruraux d’autre part, lesquels, de plus en plus, font du service public, de l’assistance sociale et sont de moins en moins rémunérés. Les territoires ruraux sont devenus les rois de l’écrêtement ».

2.Les différentes lignes de fracture au sein de la profession nuisent-elles à l’unité prônée par les instances ? OUI : 86,7 %

De nombreux notaires jugent le processus décisionnaire trop vertical. Pour eux, les solutions ne peuvent venir que de la base « en prise directe avec les réalités ». Un peu partout, on dénonce la politique du « chacun pour soi ». « Les conflits sont exacerbés avec la folle multiplication du nombre des notaires » (Jean-Philippe Andrieu, 34). Les témoignages affluent : « Les relations entre confrères sont une partie de poker menteur » ; « les notaires se livrent entre eux une guerre sans pitié » ; « L’engagement collectif n’est plus un gage de pérennité de la profession »… « A part la détention du sceau, quels sont les points communs entre un Tpo et un office parisien comptant, notaires salariés compris, plusieurs dizaines de notaires et plusieurs centaines de collaborateurs ? » demande Christian Moreno (37). Franck Julien (32) enfonce le clou : « On a le sentiment que les réformes en cours n’auront pas les mêmes conséquences sur toutes les études et que certains s’en sortiront mieux que d’autres. Comment alors demander les mêmes efforts à tous au nom de l’unité ? ». Dans le Cantal, son confrère note, avec une pointe d’amertume, que « les instances n’ont plus aucun pied dans la réalité. Ce sont des politiciens avant tout, ils se fichent des petites études ». Patrick Reynaud évoque « un notariat à deux vitesses qui n’a plus grand-chose en commun ». « Les petites études de campagne ne peuvent pas assumer financièrement le renouveau/la modernité imposée par les instances contrairement aux grosses études parisiennes. Il est illogique que les aides à l’équipement informatique ne soient pas proportionnées au chiffre d’affaires réalisé » s’agace un notaire de Dordogne. Sébastien Pfister (90) monte au créneau : selon lui, « la base n’a pas assez droit au chapitre ». Pour Jean-François Flavens (73), ce sont les instances qui sont « clivantes » et « trop politiques ».

 

Le maintien du tarif est-il selon vous un frein à l’évolution de la profession ? NON : 84,2 %

La majorité de notre panel estime que le maintien du tarif n’est pas un frein à l’évolution de la profession. Au contraire, il est « la base de l’unité de la profession », « son terreau », « la condition de sa pérennité », « son ciment ». Pour Olivier Bonnichon (43), « c’est le point essentiel de sa cohésion ». Il permet de « conserver un conseil de proximité gratuit en milieu rural » et garantit un accès égalitaire aux services de la profession. « Au moins tout le monde est mangé à la même sauce et les gros ne peuvent pas casser les prix pour tuer la concurrence » commente Nathalie Odin (74). « Le tarif est un facteur de concurrence loyale qui protège le client, évite les discussions de marchand de tapis et les dérives que cela peut entrainer » note Jacques Le Bouvier (17). Pour Nathalie Laydevant (38), « le tarif rend la profession plus solide face à la concurrence des autres professions du droit ».

A noter : Ceux qui perçoivent le tarif comme un frein estiment qu’il est « inégalitaire puisque assis sur des valeurs fluctuantes selon les régions ». « A travail égal et sécurité égale, rémunération inégale. La liberté tarifaire compenserait les inégalités ». (Fabrice Richy). Pour beaucoup, « le système actuel est en train d’asphyxier les études des petites villes où l’immobilier est bas ». Un tarif « ouvert » permettrait aux notaires les plus innovants de proposer « un service de qualité à un prix optimisé ». Pour Grégoire Bauchy (45), « c’est un frein qu’il faut tacher de maintenir, mais qui finira par sauter. Avec sa suppression, la profession évoluera. Certainement pas dans le bon sens ».