Les notaires sont « légalistes », certains aiment d’ailleurs à le rappeler régulièrement. Mais que doit-on réellement entendre par là ?
Les légalistes, en principe, ont le souci de respecter la loi. Ils ont un profond respect pour les textes en vigueur, quelle que soit leur origine politique. Ils appliquent, sans état d’âme. Certains ajoutent à cette exigence bien naturelle pour un officier public, la nécessaire obligation de ne pas remettre en cause les lois et règlements. C’est là que nous divergeons. Je ne prône pas la résistance à la loi inique (encore qu’à mon sens une loi réellement inique pourrait justifier pleinement une telle résistance). Si la loi ne me satisfait pas, je ne vois pas pourquoi il me serait interdit de le dire, de l’écrire, et de faire tout mon possible pour qu’elle soit réformée au plus vite !
Différence entre un juriste et un praticien du droit ?
J’oppose généralement les « juristes » aux « praticiens du droit ». Cette opposition tient précisément, à mes yeux, dans l’attitude qu’ont les uns et les autres à l’égard de la matière qu’ils ont en commun.
- Le juriste aime le droit, et chante ses louanges sur tous les tons. Il est généralement « bon élève » et il a été « formé ». Il applique donc ce pour quoi il a été formé : gloser sur l’état du droit positif, analyser les textes applicables, et leurs interactions. Et s’il les compare, ce n’est que très rarement avec des systèmes nouveaux ou futuristes. C’est tout juste s’il consentira – à moins d’être juriste international, cette caste d’adorateurs de tous les droits – à comparer entre eux des systèmes présents.
- Le praticien aimerait aimer le droit ; il l’aime un peu, mais n’en est pas amoureux (et donc n’est pas aveugle). Pour lui, un système juridique devrait être l’huile permettant aux rouages de la société de tourner sans gêne et sans grincements. Il devrait, avant tout, être adapté aux situations qu’il est supposé régler, et qu’importe si la construction n’est pas « intellectuellement satisfaisante ». La conséquence de cette approche varie selon les individus.
Deux catégories de praticiens du droit
On peut classer les praticiens du droit en deux catégories principales.
1 – Ceux qui considèrent qu’un droit mal fait permet toutes les interprétations et qu’on peut ainsi le torturer pour en tirer le profit maximal. En privé, ils vous indiqueront qu’il faut radier de votre vocabulaire la maxime de nombreux politiciens « J’ai confiance en la Justice de mon pays« , que tout se plaide, et que le droit est un marché. En public, ils se diront très attachés à l’état de droit, mais aussi à l’équité et à la justice. Ils défendront le système, dont ils tirent largement profit…
2 – Ceux qui considèrent que même mal fait, le droit est d’abord et avant tout au service des citoyens, qu’il doit donc préférentiellement être respecté, mais qu’il est permis à ceux qui l’appliquent de conserver un libre arbitre et une liberté d’expression. D’envisager dès la parution d’un texte que celui-ci puisse être critiqué, remis en question, et que des propositions de réformes en soient immédiatement préparées.
Les notaires, une légion…
Les notaires, sauf erreur d’interprétation de ma part, sont plutôt des praticiens du droit… Certains, parmi eux, se revendiquent « juristes », mais rares sont ceux qui aiment absolument le droit pour le droit. Cependant et particulièrement si on s’en réfère à la définition du Conseiller REAL, il ne devrait pas être « notarial » de torturer les lois pour en tirer un profit maximal. Vous voyez où je veux en venir ? A notre bien chère Loi Croissance, évidemment ! Les instances supérieures de notre profession se sont posées en « légalistes », c’était de toute évidence le sens du discours de Me VOGEL au Congrès de Strasbourg. « La loi aura des conséquences tragiques, nous communiquerons sur ces conséquences« . Elles ont demandé aux notaires de s’adapter à la nouvelle donne, sans contester la volonté du gouvernement. La communication « unitariste » a aussitôt répercuté en cascade la parole de la Tour. Et on nous a conté « fleurette », en nous berçant d’illusions. Les « vilains pas beaux » qui persistaient à proposer une alternative à leurs « collab…Euh pardon, interlocuteurs de Bercy » (lapsus révélateur de Me Coiffard à l’A.G. intercours de Dijon en mai 2016 ;-) ) ont été mis au pilori. Ils ont été accusés d’être la cause même de ce qu’ils combattaient. Aujourd’hui, il n’est absolument plus question de combattre. La terminologie militaire employée par le CSN est montée d’un cran, puisque nous ne sommes plus, dans le vocabulaire du Président du CSN une « armée en ordre de marche » mais une « légion »…Pourtant, il y a quelques années, notre ami Rémi VIBRAC avait sélectionné, pour illustrer un diaporama mémorable des « furibards », une chanson d’Hubert Félix Thiéfaine dont le texte était prémonitoire :
« Question gun et machicoulis
Un GI vaut 2000 hoplites »
Resterons-nous fixés dans nos rêves d’antiquité ou bien nous déciderons nous enfin à prendre en mains notre destin ?
Des questions essentielles
La loi Croissance existe, son texte n’est pas – si on prend le temps de l’analyser – en totale contradiction avec les principes qui régissent notre fonction. En revanche, l’application qui en a été et en sera faite par le gouvernement, avec la complicité muette (ou même active) de certaines de nos institutions, entraine une dérive sournoise et dangereuse vers tout ce que nous avons combattu. Posez-vous les questions essentielles :
- Où sont les grands slogans ?
- Où sont les belles phrases ?
- Qui servez-vous, et en qui avez-vous confiance ?
Didier Mathy, notaire à Sagy