Une étude réalisée par deux chercheurs américains à propos de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis apporte un éclairage intéressant aux résultats électoraux récents. Il repose sur le sentiment de trahison des élus.

En dépit de déclarations délirantes et d’affirmations erronées, les votes en faveur de Donald Trump aux États-Unis, tout comme ceux de Nigel Farage et Boris Johnson en Angleterre, ont déjoué tous les pronostics. Deux économistes de l’université de Harvard  se sont interrogés sur les raisons de la victoire de ces leaders politiques qui semblaient n’avoir aucune compétence pour diriger un pays. Elles reposeraient fondamentalement sur le fait que la trahison est plus mal ressentie que la tromperie par les électeurs des milieux populaires.

De désillusions en trahisons

Suivant ces chercheurs, nous sommes beaucoup plus sensibles aux conséquences néfastes et aux désillusions imputables à la trahison d’un partenaire que lorsque celles-ci sont dues au hasard. Il s’ensuit que les candidats, auxquels des électeurs attribuent l’aggravation de leur situation et la trahison des politiques menées, seront rejetés au profit de ceux auxquels on ne peut faire ce reproche. Dans l’esprit des électeurs, la trahison semble être constituée par le détournement des politiques au profit de l’élu et de ses amis au lieu qu’ils en puissent bénéficier. Mais il faut aussi qu’il y ait des candidats compétents qui puissent avoir la confiance des électeurs pour les gouverner. Le choix des électeurs serait alors ambivalent :

  • soit retenir un candidat parmi ceux qu’ils jugent les plus compétents,
  • soit, s’ils ne font pas confiance à la classe politique, élire celui qu’ils jugent le plus incompétent et donc, à ce titre, le moins susceptible de les trahir.

3 532 électeurs américains interrogés

 Afin de vérifier la pertinence de ce raisonnement, les chercheurs ont constitué un panel de 3 532 électeurs américains. Dans les jours qui ont précédé l’élection présidentielle, ces électeurs ont été interrogés :

  • d’une part, sur leurs opinions quant à la compétence des candidats et leur niveau de corruption ;
  • d’autre part, sur leurs intentions de vote.

À la première question, 65 % des personnes interrogées ont répondu qu’Hillary Clinton était plus compétente que Donald Trump contre 12 % ayant un avis contraire. Pour ces dernières, le niveau de corruption de Trump était même sensiblement plus élevé que celui de Clinton.

Parallèlement, et cela est important, une moitié des participants a été sensibilisée à la notion de compétence des dirigeants politiques. Ce groupe de « clercs » était composé par des Blancs ayant fait des études supérieures, et des non-Blancs vivant dans des zones urbaines. Si ces électeurs souhaitaient choisir un candidat compétent, on devait constater un vote plus important pour cette catégorie. Et, en effet, Hillary Clinton a obtenu 5 % d’intentions de vote de plus que Donald Trump.

L’autre moitié des participants regroupait les habitants des zones rurales et les Blancs ayant un faible niveau d’études vivant dans des zones urbaines. Cette catégorie constitue le cœur de l’électorat de Trump. Les résultats ont alors été exactement inversés au profit de ce dernier déclaré incompétent par une bonne majorité d’entre eux. C’est donc bien parce qu’ils l’estimaient incompétent et par conséquent sans risque d’être trahis, que les électeurs des milieux populaires ont choisi Donald Trump.

Des facteurs à prendre en compte

 Même si cette étude souffre de quelques imperfections sur le plan méthodologique, elle présente l’intérêt de mettre en évidence le facteur trahison dans nos choix politiques. En France, la trahison est d’ailleurs l’un des reproches les plus fréquents que les personnes non contentes de leur sort et issues des classes populaires font à nos élus. Il ne serait pas étonnant que ces mêmes électeurs préfèrent aussi porter leurs voix sur les plus incompétents des candidats pour échapper à toute trahison.

Bernard Thion