This – is – The – Voice ! Si vous ne faites pas partie des 6 millions de Français adeptes de cette émission culte du samedi soir, je précise qu’il s’agit d’un concours. Mais soyez rassurés : un concours de chant, chose plus chatoyante que le concours sur un acte notarié. The Voice est l’émission phare de TF1 : de la télé-réalité avec juste ce qu’il faut d’émotionnel pour plaire aux foules. Bref, la vie étant devenue un gigantesque reality-show, le notariat ne peut pas y échapper. Alors assumons !

Inaugurons donc The Voice, saison notaires. Lâchons des clients sur la grande scène de la concurrence notariale ; chacun d’eux s’essayera à charmer les 4 offices-vedettes en espérant que l’un s’appropriera son dossier. Pour ne pas nuire à l’unité de la profession, le panel des offices composant le jury se veut représentatif :

  • Me Grozeau fils, notaire à Paris,
  • Me Écrêté notaire à Supérural,
  • une charmante notaire salariée au Plusoffran
  • Sabrina tirée au sort à Macroville.

Par déférence pour l’autorité de la Concurrence, nous indiquerons à chaque dossier le produit moyen par heure de travail.

1er candidat : c’est une candidate !

Ludivine, c’est le prénom de la cliente, arrive sur scène, dans le dos du jury notarial qui l’écoute « à l’aveugle » décrire son dossier. Elle habite Macroville – comme Sabrina ! Elle va acquérir le fameux salon de coiffure de la vidéo-propagande du Ministère des Finances. Notre célèbre notaire tirée au sort, entendant citer Macroville, active sans hésiter son buzzer, pivotant ainsi son siège pour faire face à la cliente. Celle-ci précise avoir eu son financement via la chambre des métiers qui a réservé 1.400 € pour les frais d’acte, dont 1.000 € de commission pour la chambre consulaire. C’est certain : pour les 400 € TTC restant, les 3 autres notaires ne se retourneront pas. Sabrina fait grise mine mais au fond se réjouit de ce premier dossier ! Et puis, elle a mis en place des process expéditifs qui lui permettront de tout plier en moins de 4 heures de taff. Note du dossier : 82 € par heure.

2e candidat : une famille qatarie parmi d’autres

Amar Al Ramdam a vendu à la SCI BRIG’EM (siège social au Touquet) un immeuble à Doha et en ré-investit le produit dans un immeuble vacant, sur l’ile aux vaches (c’est un bout de l’ile Saint-Louis à Paris, mais l’investisseur n’étant pas chrétien on évitera de le choquer par des toponymes aux références étrangères à sa confession). L’affaire est claire. Pas d’emprunt. Nos 4 notaires actionnent ensemble leur buzzer. Quel notaire notre qatari va-t-il choisir ? Surprise : c’est notre consoeur salariée qui emporte le morceau. On interroge le qatari sur les raisons de son choix. Il explique avoir reçu conseil de son acquéreur de ne pas choisir un notaire libéral car, dans la logique de l’industrie financière, un vrai pro ne peut cumuler qualité de management et compétence-métier. Dont acte. Note du dossier : 3.240 € de l’heure.

3e candidat : le directeur financier de Bounygues-Resort

Abélard de Lapâte Feuilletée, énarque de la promotion Senghor – micro vicé sur l’oreille – vient présenter son dossier par scan holographique. Pour d’évidentes raisons de confidentialité, l’équipe de Notariat 2ooo ne peut pas dévoiler l’astucieux montage financier qui permet à l’international corporating Bounygues-Resort de réaliser le purchasing d’une tower à La Défense au nom d’une share-holding file-completionnée dans l’ile de Cozumel. L’acte devra se signer dans les bureaux du célèbre pull de lawyers D. Biles. Notre confrère Écrêté, respectueux des valeurs humaines et se refusant par principe à balancer tout ce bordel à Tracfin, rejette évidemment un tel dossier. Me Grozeau fils, qui a dû annuler ses vacances dans les Caraïbes, voit l’occasion rêvée de compenser les louuuuuuurrrrrdes charges que son implantation parisienne occasionne ; il se sacrifie sans vergogne. Note du dossier déplafonné : 400.000 € de l’heure.

4e candidat : Papy Mougeot !

Mougeot veut acheter une parcelle de bois, enclavée, de 5ème catégorie et la mettre au nom de son unique petit-fils qui a 2 ans. Les vendeurs sont la famille Cluzenau où il reste 7 frères, leur mère sous tutelle, 3 neveux qui ont renoncé à la succession d’une sœur décédée après la liquidation de l’entreprise agricole de son mari, sauf un qui s’est marié au Burkina où il vit dans la brousse. Le prix ? 128 €. Aucun des 4 notaires ne fait pivoter son siège. Me Grozeau fils ne se sent pas compétent et décline avec modestie cette affaire. Notre consœur salariée se sent compétente mais justement, trop avertie des difficultés, tente de se faire oublier. Sabrina, consciente d’avoir déjà écopé d’un dossier non rentable se sent libérée. Reste notre infortuné confrère rural, formé à la vieille école : il se dit que tout client a droit à un notaire et, par solidarité professionnelle, pivote son fauteuil et prend le dossier à son compte. Note du dossier : 0,12 € par heure…

Conclusion

Le Président du Superior Council of Notars a la gentillesse de nous livrer en direct son sentiment sur cette 1ère expérience de notaro-show. « Par ce nouveau vecteur de communication, la profession montre le dynamisme qui est le sien, fondé sur une unité qui met en valeur la diversité du notariat et sur une solidarité pérennisée par des règles créatrices de profits pour ceux qui savent se les approprier » (il fait référence à l’écrêtement des petites affaires, au déplafonnement des grosses, à la facturation croissante de charges hors la bourse commune, aux règles de franchise de responsabilité civile, à l’horodatage ouvert aux SCP, à la faculté de détenir plusieurs offices en une seule structure, à l’invention du notaire unique…). En l’applaudissant, je note qu’il serait indécent de se demander si, dans le notariat, unité et solidarité riment avec « pour tous »…

Étienne Dubuisson, notaire à Brantôme