En regardant les statistiques annuelles de ma compagnie, il y a quelques années, j’avais constaté non sans étonnement qu’on pouvait y appliquer, à peu de choses près, ce théorème que tous nous avons appris : « en cas d’égalité entre deux rapports ou deux taux le produit des extrêmes est égal au produit des moyens« . Certes, c’est une interprétation très personnelle, mais suivez le raisonnement, il n’est pas si déraisonnable !
La profession (puisque tous l’appellent ainsi, ce qui évite de garder en tête qu’il s’agit d’une fonction) est composée d’offices de tailles diverses…
Tout en bas de la pyramide, on trouve les « très petits offices ». Ils ont été rebaptisés il y a peu « offices à accompagner ». Ce qui signifiait – mais qui, alors, l’aurait cru – qu’on hâterait leur disparition en se contentant de soins palliatifs, car là n’est pas l’ « essentiel ».
Tout en haut de la pyramide, trônent les réseaux ou offices dont le chiffre d’affaires est tel qu’ils mettraient en péril les 310 permanents cumulés du CSN et de l’ADSN réunis s’ils venaient à défaillir…
Entre ces deux « extrêmes », se trouve la masse des « moyens », pas vraiment petits, pas vraiment gros, ils ont surtout l’illusion de faire partie de l’élite, d’avoir des qualités supérieures à la piétaille, et cherchent par tous expédients la considération des titans, qu’ils servent du mieux qu’ils peuvent, en suivant à la lettre les conseils des permanents susvisés… Ce sont ces « moyens » (à tout point de vue, car la machine à maintenir l’unité élimine soigneusement tout ce qui dépasse). Lorsqu’on leur propose de se faire élire (pas vraiment nommé, pas vraiment élu, voici venir le « nommélu »), ils se sentent investis d’une mission qui les délie de leurs électeurs. Ce qui est d’autant plus naturel que lesdits électeurs n’ont eu aucun choix à effectuer… Arrivés « à la force du poignet » – mais pas le leur, croyez le bien – à des postes de « gouvernance », ils s’estiment capables de tutoyer le soleil. Et, comme ils ne fréquentent presque plus que leurs semblables, ils sont convaincus de détenir la Vérité.
Qu’on les remette en question, et ils hurlent à la lèse-majesté, quant ils ne menacent pas l’impudent de « s’occuper de lui personnellement« , ils accusent ceux qui les critiquent de le faire uniquement pour le plaisir de la polémique, écartant ainsi d’un revers toute idée qui ne serait pas la leur.
Bien sûr, pour la galerie, ils jetteront parfois leur dévolu sur un(e) jeune confrère lui apportant même publiquement un soutien indéfectible, mais ils lanceront discrètement leurs tueurs pour que l’initiative fasse long feu1.
Et que disent les moyens, précisément ? L’avantage d’être petit, lorsqu’on réussit à s’incruster dans les instances notariales c’est qu’on finit par vous oublier, et que vous entendez avec un certain recul, car vous n’êtes pas « des leurs », les réactions de ceux qui se croient dominants…
Après avoir cru en Fillon, espéré en Bayrou, ceux qui prétendent prendre en main notre destin ont bien du l’admettre, la réforme ira à son terme. Mais au lieu de tenter un sursaut, d’expliquer encore, avec des arguments probants, on se soumet à l’avance…Il semblerait que M. MACRON n’aime pas qu’on l’affronte, il faut donc faire profil bas et s’adapter2.
Est-ce là un conseil notarial ? Rappelons que nos dirigeants sont notaires, et qu’à ce titre ils doivent mesurer objectivement toutes les conséquences des décisions qu’ils prennent, des conseils qu’ils donnent, des actes qu’ils rédigent. Ont-ils appliqué cette méthodologie notariale aux « actes politiques » qu’ils font en s’arrogeant droit de vie ou de mort sur certaines catégories de professionnels pour préserver leur « essentiel » ?
Bien sûr que non ! Car s’ils l’avaient fait, ils auraient peut-être envisagé que l’issue de la révision tarifaire (dont il se murmure notamment qu’elle pourrait voir une résurgence du corridor, de sinistre mémoire, ou même une libéralisation totale puisque le sort des « petits » n’a manifestement pas ému la profession) puisse être une nouvelle fois la conséquence de la moyenne des rémunérations, qui, malgré l’écrêtement dont certains seulement subissent réellement douloureusement les conséquences, augmente du fait de la hausse illimitée des revenus sur les très gros actes.
Si tel est le cas, qui, croyez-vous sera le plus impacté ?
Les « petits » ? Que nenni, c’est déjà fait, et ceux qui s’en sortent aujourd’hui ont de bonnes chances de tenir quelque temps encore.
Les « gros » ? Pas plus. Ils bénéficient comme jamais du système, et profitent de l’embellie pour s’organiser, sous-traiter, robotiser, et profiter au mieux des honoraires détachés…
De toute évidence, ceux qui prendront de plein fouet la réduction seront les « moyens » mais lorsqu’on parle de « produits » en notariat, il est une composante que la mathématique ignore, ce sont les charges. Et bien souvent, hélas, les charges des moyens sont plus lourdes que celles des extrêmes…
Vous pensiez qu’un tarif « ajusté » était une hérésie ? Vous n’en avez pas voulu car vous pensiez que les « petits » étaient des souffreteux qui ne savaient pas s’organiser, se remettre en question, diversifier, et ne pouviez accepter l’idée de vous faire « prendre » ce qui ne vous aurait pas été pris ?
Peut-être auriez-vous du, car c’était le seul moyen de modifier l’approche gouvernementale qui ne connait que les moyennes…
Peut-être n’est-ce pas réellement trop tard, qui sait.
Un proverbe grec contemporain dit « quand on vous dit beaucoup de cerises, prenez un petit panier », on ne peut certes pas contester aux grecs une certaine expérience en termes de déconvenues.
1 Un observateur attentif trouvera du reste une réelle proximité entre les méthodes du Conseil Supérieur du Notariat et celles du mouvement « En Marche », ce qui explique sans doute les relations étonnantes entre l’actuelle direction de notre instance régalienne supérieure et les responsables de la mise en œuvre de la réforme.
2 Ce qui n’est pas sans rappeler tragiquement le discours de Philippe Pétain annonçant aux Français les conséquences de l’armistice le 25 juin 1940