Il s’en passe tous les jours dans nos offices. Petite scène de la vie quotidienne d’un tabellion corrézien…
J’ai en ce moment pour client un brave homme, héritier de sa tantine. Pour des raisons qui le regardent, il a renoncé à la succession pour faire hériter ses deux filles. Mais il n’a eu de cesse de se mêler, de bon cœur et pour « rendre service », de tout le dossier, en plus du dossier de la vente consécutive de l’immeuble de la tantine (pour payer les droits de succession, parce que, entre tante et petits neveux, mazette, à Bercy on se mouche pas du coude avec une saucisse comme on dit).
Il s’en est si bien occupé qu’après la vente qui remonte à 3 ou 4 mois, je continue de recevoir des factures d’E.D.F. au nom de la tantine. Cela prouve qu’il n’a pas fait le nécessaire tout de suite avec ses acquéreurs pour muter les compteurs. Et ce en dépit des avertissements et conseils amicaux que j’avais cru opportun de prodiguer à tout le monde lors de la signature de la vente.
De mon côté, faisant semblant d’être diligent, j’ai soldé le dossier et payé les héritiers si bien qu’aujourd’hui, j’ai plus de sous pour payer. Que dalle, zéro, nada, zobi la mouche en comptabilité au nom de la tantine !
Le dernier avatar arrive aujourd’hui : E.D.F. réclame 1,44 € à la succession. Le courrier me dit (malgré l’envoi d’au moins 4 ou 5 attestations d’hérédité…) que ce brave homme, qui n’était pas l’héritier, et à qui j’avais demandé de faire le nécessaire pour ces b…dels de m… de foutus compteurs, avait bien signé le T.I.P.. En revanche, il a omis de joindre son R.I.B. pour un prélèvement.
On résume donc :
Je reçois une note à payer de la part d’E.D.F. pour un 1,44 €, mais je n’ai plus de sous au nom du client.
Je renvoie donc la lettre à E.D.F. avec une attestation d’hérédité, une attestation de vente de l’immeuble avec date et nom du nouveau propriétaire, et les coordonnées de ce brave homme qui n’est ni héritier, ni vendeur de l’immeuble, ni son acquéreur, mais qui trouverait scandaleux de ne pas s’occuper de tout dans cette histoire.
On a fait l’aller/retour comme ça, deux ou trois fois… Pour le fun. Puis mon brave homme reçoit d’E.D.F. la lettre et le T.I.P., le signe pour payer 1,44 €, mais oublie son R.I.B.
E.D.F. m’écrit donc pour me demander qu’il rectifie. Ce que je fais en retournant la lettre et le T.I.P. à mon brave homme, pour lui demander, à deux genoux, de terminer par pitié ce bricolage. Et surtout sans lui dire que j’avais autre chose à faire, parce qu’il l’aurait mal pris, en dépit des bons rapports que nous avons depuis le début de l’affaire.
Pour faire récupérer un 1,44 € à E.D.F., il aura fallu (futur antérieur, j’adore), à l’ère prétendument numérique, dépenser au moins 10 ou 20 € de papier, d’encre, d’enveloppes, de timbres. Sans parler du temps passé, mais comme le disait un vieux notaire connu de votre serviteur dans une vie antérieure, « mon temps vous appartient, mes chers clients » (faux-cul, va !). Des fantaisies charmantes comme ça, nous en avons tous/toutes des pleins tiroirs. Petit aparté : entre nous, j’aurais été le bonhomme ci-dessus, j’aurais demandé à E.D.F. des délais de paiement, pour régler mon 1,44 € en 3 fois sans frais, avec facture faisant ressortir la T.V.A. chaque fois. A mon âge, on s’amuse comme on peut.
Paul-Etienne Marcy, notaire à Argentat (19)