On se désespère de voir chaque jour le nombre de SDF augmenter tout comme l’impuissance des gouvernements à circonscrire ce phénomène. Or, il existe d’anciennes pratiques, à l’honneur dans les pays du Nord de l’Europe, qui devraient contribuer à réduire sensiblement cette ignominie. Elle consiste à séparer la propriété du terrain de celle de la construction.

Depuis la crise économique de 2008, résultat de l’accroissement des inégalités, on assiste à une augmentation constante des sans-abris. Ils sont plus de 150.000 avec une augmentation de 64 % depuis l’année 2000. De quoi peupler une ville de la taille de Grenoble ou Clermont-Ferrand.

Parallèlement, toutes les grandes métropoles subissent de très fortes pressions immobilières alors que les petites villes se vident ou se désertifient. Pour essayer de pallier ce phénomène, les gouvernements ont mis en place des politiques publiques sous forme d’allocations et d’incitations fiscales. Malheureusement ces aides poussent souvent à la hausse des loyers ou des prix de vente, nourrissant une spirale infernale.

Logement social

Le logement social apparaît comme le meilleur levier de l’action publique. La France est dotée d’un puissant parc HLM (près de 5 millions de logements), mais seule une demande sur quatre (soient 480.000) peut être actuellement satisfaite. Une occupation prolongée des logements sociaux (9 ans contre 4 dans le privé) et la raréfaction des terrains en sont les raisons essentielles. Pour répondre à cette demande et augmenter le parc, il est nécessaire de trouver des terrains dont la valeur demeurera stable. En effet, toute vente à faible prix par l’État ou une collectivité locale fera l’objet de spéculation au moment de sa revente.

La séparation du sol et de la construction

La mise en location du terrain pour une longue durée éviterait tout surenchérissement pendant la période du bail. Cette technique est utilisée depuis la révolution pour les terres agricoles sous le nom de bail emphytéotique avec une durée maximum de 99 ans (c’est pour empêcher la reconstitution d’un système féodal que la Révolution française avait limité à 99 ans la durée maximale de ces baux). Le « bail à construction » qui en est une variante datant de 1964, engage le preneur à construire sur le terrain donné en location et suivant un descriptif déterminé, le bailleur étant supposé récupérer la construction au terme du bail. Malgré leur attrait, ces méthodes de séparation de la propriété foncière et de la propriété du bâti ne se sont jamais vraiment développées en France, à la différence de la Grande Bretagne et des pays d’Europe du Nord. Avec ses 85 hectares de terrain, le cas des Hospices civils de Lyon, créés en 1802 au moment de la séparation des églises et de l’État, en est l’un des rares exemples.

Nouveau départ

La ville de Lille a lancé, le 28 février 2017, la création d’un Organisme Foncier Solidaire (OFS). Il vise à créer des logements pour les ménages modestes. Ils sont censés rester abordables à perpétuité. L’OFS s’est rendu propriétaire de terrains situés en centre ville grâce à un prêt à très long terme consenti par la Caisse des Dépôts. Le loyer foncier acquitté par la famille ainsi logée sera de 1 euro par mois et par m2, mais à la condition que l’habitation ne puisse être cédé qu’à un ménage modeste et à un prix encadré avec une très faible plus-value. Cela devient ainsi un outil de mixité sociale pour réinstaller les familles en centre ville. Le bail dit « réel solidaire » créé par la loi Macron, de très long terme (40 ou 60 ans), repart pour sa durée initiale à chaque mutation. Sur des principes semblables, au cœur de Biarritz, une OFS en gestation prévoit une première opération de 40 logements avec des prix de vente à moitié prix du marché. Si ce principe pouvait se généraliser un peu partout en France, là où les collectivités détiennent des biens souvent peu ou mal exploitées, gageons que par un jeu de domino, le problème des SDF serait en grande partie solutionné.

Bernard Thion