Épisode 3 de notre feuilleton « Le Notariat, l’inventer comme s’il n’existait pas » avec une réflexion sur une régulation apaisante des rapports de droit.
De quelle manière gérer l’application du droit considéré ici comme restriction à la liberté ? La gestion des restrictions privées de la liberté peut être abandonnée à l’État, mais il y a risque de totalitarisme. Elle peut aussi inversement être abandonnée à la sphère privée, mais il y a risque d’anarchie, de dérive mafieuse. Pour une gestion présentant toutes les garanties démocratiques, il convient de combiner les dimensions publique et privée de la gestion des restrictions à la liberté. Cette combinaison peut se faire de 2 manières : alternativement d’une part, cumulativement de l’autre.
La gestion des délimitations de libertés peut tout d’abord reposer sur les compétences privées et publiques combinées alternativement. Dans cette situation, la mission de régulation est d’abord abandonnée à l’initiative privée, seuls les éventuels dysfonctionnements étant ensuite réparés sous la responsabilité de l’État via l’organisation judiciaire. La régulation s’opère a posteriori, sans transition entre les deux sphères privées et publiques. C’est le système anglo-saxon où le changement de sphère s’opérant sans transition est perçu par les gens comme brutal dans leur quotidien. Et la boulimie règlementaire engendre un contentieux omniprésent (Outre Atlantique, on parle d’un procès pour 3 contrats). Du coup, la sphère publique est dépassée par une tâche dont elle se débarrasse au profit de transactions de nature privée (on paye pour ne pas être jugé).
La combinaison des sphères privée et publique dans l’administration du droit peut aussi s’opérer cumulativement. Cette combinaison s’incarne alors dans un corps de professionnels, chargé de mettre en œuvre le droit, de statut privé mais investi d’une prérogative de puissance publique. La dimension publique de la gestion du droit est mise en œuvre a priori et la combinaison des deux sphères publique et privée s’opère par le truchement d’un corps d’intermédiaires combinant des particularités tenant des deux domaines public et privé. C’est le système du droit continental : le corps intermédiaire, chargé de l’interface entre les intérêts privé et public de la vie en société, étant le notariat.
Cette conception de l’administration du droit est en pleine remise en cause en France, du fait de plusieurs décennies de lobbying pour faire tomber le marché des actes notariés dans la seule sphère privée et en raison aussi de la réaction de l’instance ordinale visant à obtenir une compensation d’image pour renforcer l’ancrage du métier dans la sphère publique. Ainsi, l’attente sociale n’a reçu pour réponse qu’une crispation contraire : la profession notariale s’est coupée du monde bancaire au profit du monopole de la Cdc, s’est arcboutée sur la condition de nationalité malgré le succès grandissant de l’intégration européenne, a promu la forfaitisation tarifaire dans un monde de transparence des coûts, a verrouillé l’accès à la profession dans une époque de surpopulation croissante de juristes et s’est enfermée dans une mission d’authentification exclusive au lieu d’expliciter ses compétences matérielles.
On en est arrivé, fin 2016, à une situation de paroxysme dont la version 2017 du divorce par consentement mutuel est une illustration magistrale : le contenu de la mise en œuvre du droit est ancré dans la sphère privée, les avocats étant chargés du contenu de la convention. L’intervention notariale n’est plus intermédiaire mais purement administrative, le simple dépôt de la convention étant destiné à conférer la force exécutoire étatique en suivant les caractéristiques de l’intervention publique, c’est-à-dire formelle et rémunérée par un forfait (presque gratuit). Outre les inconvénients en résultant pour la profession notariale, c’est à un changement de régulation du droit que nous assistons. Ce risque pour l’ensemble de la société doit nous occuper, les justiciables perdant les avantages d’une transition cumulative entre privé et public au profit d’une combinaison alternative, concrétisée par une perte de qualité de service et une augmentation du risque de délimitation injuste des libertés du fait d’un contentieux qui exploserait.
C’est une combinaison simultanée des dimensions publique et privée au niveau de l’intermédiaire de gestion du droit qui fait pourtant l’intérêt du système tant pour les garanties apportées aux citoyens que par un fonctionnement sans ponction aucune sur le budget de l’État. Cette structure qu’on a décrite à un niveau national trouve absolument sa place aussi au niveau supranational dès l’instant qu’il existe une autorité juridico-politique de nature étatique, comme l’Union européenne en est l’illustration. Même si cela peut apparaître utopique, ce type de corps intermédiaire manque au niveau européen où un notariat magistrat de l’amiable à sceau européen devrait être mis en place, symétriquement au juge européen, magistrat du contentieux, qui existe déjà. Loin d’abandonner cette structure de régulation en France, il faut au contraire la promouvoir à l’échelle supranationale de l’Europe et arriver à l’institution d’un notaire d’Europe qui authentifie au nom de la Justice européenne et au moyen d’un sceau à l’effigie de l’Union européenne.
Etienne Dubuisson
« Suite de notre feuilleton : mardi 14 février ».