La gouvernance est dans l’air du temps. C’est notamment le thème de l’AL 2016. Histoire d’alimenter le débat, nous avons demandé à un panel de notaires, abonnés et non abonnés, répartis sur toute la France, ce qu’ils en pensaient. Regards et réflexions.
La gouvernance
66 % des notaires interrogés font un lien entre le mode de gouvernance actuel et la situation post-macron. Certains, comme Eric Tenette (54) qui « sort de 3 ans de Chambre », pense que « la profession ne s’est pas bien défendue contre la loi Macron ». Pour Julien Bernard (55), « la réforme est le fruit de l’immobilisme du notariat ». « On a bien mérité ce qui nous arrive », commente également Bertrand Cuille (30).
Dans la majorité des cas, notre panel estime que la gouvernance ne fait pas la preuve de son efficacité. Si 45 % la jugent efficace au niveau des compagnies, la part des satisfaits se réduit comme une peau de chagrin lorsqu’on évoque le CSN (34 %), les CR (26 %) et les « satellites » (15,5 %).
Les pistes d’améliorations sont nombreuses ; elles s’articulent toutefois en 4 points forts.
- La fin de la cooptation « pour une meilleure représentation de la base » et « un renouvellement des idées et des projets ». « Aujourd’hui, il n’y a pas de démocratie et aucune diversité dans le profil des élus. Le « carriérisme représentatif » fait peser le risque de sclérose dans la profession. Il existe un certain nombre de groupes de réflexion dont les travaux sont particulièrement aboutis, mais ils sont rarement consultés. On leur préfère les décisions d’un petit groupe « autorisé » comme disait Coluche ». (Frédéric Labour, 91). Son confrère du 69 constate : « Comme nos élus nationaux, les élus de la profession sont parfois déconnectés de la réalité faute d’avoir mis les pieds dans leur étude depuis trop longtemps. Exercer des fonctions au sein de la profession ne doit pas devenir en soi la profession de nos élus ».
- Plus de transparence et davantage de communication entre le CSN et les instances locales (chambre et CR). « On a l’impression que le CSN ne communique pas en transparence » (Hugues Deleplanque, 59).
- une « décentralisation des pouvoirs » : « Les décisions se limitent actuellement au CSN » souligne Laurent Raison (56). « Nous restons encore à l’idée communiste du centralisme démocratique ; on devrait tenir davantage compte des souhaits de l’ensemble des notaires » (Henri Aubin, 69).
- Une réduction des structures et une diminution des échelons (Jean Mériadec Henaff, 56 ; Julien Bernard, 55 ; Mickaël Midrouillet, 03 ; Hervé Accorsi, 06). Eric Lafond (13) supprimerait volontiers les instances intermédiaires (le CR). Son confrère du 91 est sur la même longueur d’ondes : « Les compétences qui ont été attribuées aux CR sont redondantes avec celles des Chambres (dossiers de cession, honorariat déjà validés par les Chambres) ou pourraient être à nouveau de leur ressort ». Pour Laurent-Noël Dominjon, « l’échelon CR depuis Macron va être de trop. Il faut garder uniquement une chambre disciplinaire au niveau de la Cour d’Appel, composée d’un Président, d’un Syndic et de membres tous élus par l’ensemble des notaires de cette cour et des présidents de Chambre ». Avis diamétralement opposé pour Marc Bignell (06) qui confirmerait le pouvoir des CR… et réduirait le personnel des Chambres, tant salariés qu’élus ! « Les CR devraient avoir un contact plus direct avec la base » estime-t-il.
Les élections
Notre panel, dans sa majorité, trouve à redire sur le mode des élections (cf. graph). La cooptation est généralement mal perçue, tant au niveau de la chambre, du CR que du CSN. « La cooptation est une pratique beaucoup trop répandue, devenue insupportable et obsolète » (Olivier Duparc, 75). « L’élection dirigée » n’a pas plus la cote : seulement 16 % la préconisent au niveau des Chambres, 22 % au niveau des CR, 27 % pour les délégués du CSN et 33 % pour le président du CSN. En revanche, « l’élection libre » est souhaitée à tous les échelons, à savoir à la Chambre (76 %), au CR (73 %), pour les délégués du CSN (63 %) et pour le président du CSN (58 %). Beaucoup estiment également que les candidats devraient présenter un programme avec des propositions sur les questions essentielles du notariat (augmentation du nombre de notaires, tarif, qualité du service, maillage, financiarisation des études, etc.). « Les bulletins de vote à la chambre sont des bulletins d’adhésion ne permettant pas la suppression de tel ou tel candidat. Aucun ne présente un programme et ne fait campagne. Les candidats sont nommés par leurs pairs, sans autre raison que leur ancienneté ou copinage. Il n’y a aucune communication avec la base. Aux questions posées on s’entend répondre « c’est comme cela point barre » dénonce un notaire du 42. « J’ai déjà été membre de chambre et CR, le fonctionnement n’est pas efficace, sans aucune démocratie participative » dénonce également Gilles Bourret (23), les notaires des petites études, notamment rurales, ne sont absolument pas représentés et pas entendus ! ».
À noter
C’est la clé REAL qui semble la meilleure formule pour voter (63 % contre 37 % pour le vote classique à bulletin secret). Certains, notamment en région parisienne, dénoncent les votes à mains levées (« avec désignation par le président de celui qui ne vote pas comme tout le monde ») qui se pratiquent toujours…
À MÉDITER ! 55 % des notaires interrogés ne trouvent pas satisfaisant le mode d’élection à la Chambre. Ils sont 66 % à ne pas être satisfaits du mode d’élection au CR, 73 % de celui des délégués du CSN et 76 % de celui du président du CSN.
L’ADSN
Seulement 24 % de notre panel assimilent l’ADSN à une instance. « Cela nous coûte cher, mais le service est performant. Et compte tenu de notre dépendance vis-à-vis de ce service, il est forcément une instance » souligne Eric Tenette (54). « C’est un organe et un outil important pour l’avenir de la profession » écrit Frédéric Lacazedieu (81). Comme lui, 61 % de ses confrères aimeraient y être réellement représentés ou y participer. Certains dans le but de « contrôler les coûts ». D’autres, comme Bertrand Cuille (30) pour « éviter que comme beaucoup d’administrations, l’ADSN finisse par ne vivre que pour elle-même ». Et ajoute-t-il : « cela empêcherait peut-être certains de ses représentants de dire que le notaire incapable de mettre 300 €/ mois dans réal 3 n’est pas digne d’être notaire ! ». Un notaire du 32 écrit : « l’ADSN est un fournisseur de service (on est au surplus obligé d’y adhérer), son rôle est soit d’offrir le meilleur service au meilleur prix en faisant preuve de souplesse et de réactivité et en acceptant d’anticiper sur les évolutions des études, soit de disparaître. À titre personnel et depuis l’entrée en vigueur de la loi MACRON, je ne veux pas être obligé de payer les prestations d’un organisme que je ne peux mettre en concurrence« . Pour son confrère du 34, il faut plus de transparence. « Adsn = machine à cash, pourquoi pas ! Toutefois la transparence est nécessaire ! Cela pourrait débuter avec l’inventaire de l’échec de « mnémosyne « , puis une vraie gouvernance : vote pour élection des représentants, noms des administrateurs, des sociétés dans la mouvance, publication des comptes, objectifs ».
Participer à la gouvernance
Rejoindre une instance ne fait rêver que 44 % des notaires interrogés. Les autres ont soit « trop de travail à l’étude » (François Granier, 34), soit « d’autres activités externes au notariat qui prennent du temps » (Edouard Lembrez , 59). D’une façon générale, l’assemblée de Liaison est boudée (7 % de candidats seulement) et le CR ne séduit que 13 % des notaires interrogés. Parmi eux, M.-H. Rebut Ruscher (42) qui aimerait se faire le porte-parole des petites structures. En revanche, 42 % se verraient bien à la Chambre. Olivier Duparc (75) y voit un bon moyen de « servir la profession », Eric Lafond (13) l’occasion d’apporter des idées nouvelles applicables notamment aux études de petites tailles. Enfin, 31 % s’imagineraient volontiers au CSN, histoire d’«imaginer le notariat de demain ». C’est le cas de Frédéric Labour (91) qui attend des représentants du CSN qu’ils fassent « preuve d’audace et soient prospectifs ». « Nous reproduisons perpétuellement le même schéma dont le moteur principal est la peur. Il faut renforcer la cohésion et le sentiment d’appartenance de la profession tout entière derrière une équipe porteuse des projets d’avenir qui feront ce que nous serons demain. La gouvernance actuelle ne démérite pas, mais son absence de légitimité et l’opacité de ses actions et projets l’empêchent de construire et de dynamiser notre belle profession » commente Julien Bernard, 55). De son côté, Bertrand Cuille (30) aimerait participer à la gouvernance du CSN pour « tenter de normaliser les regroupements des études dans un esprit de défense du notariat et du droit latin, mais aussi créer une plateforme de rédaction d’actes, une sorte de cridon rédacteur ».
L’avis de certains membres de notre panel…
• Henri Aubin (69) : « Chaque notaire doit pouvoir participer à la gouvernance »
Notre système de gouvernance est totalement à revoir, la profession parle sans arrêt de modernisme, de plans nouveaux, etc. mais en ce qui concerne la gouvernance, rien ne change véritablement. Nous devrions modifier ceci pour démontrer aux politiques qu’une profession peut se régénérer en profondeur et qu’ils devraient suivre le même chemin. Il faudrait revoir les strates de notre profession, il y en a trop et cela coûte trop cher au notariat. Il faut supprimer un échelon (chambre/CR) comme cela se fait dans certains départements (Savoie/Haute-Savoie) par des inter-compagnies. Il ne faut tenir qu’une assemblée générale par an, cela coûte cher et l’information aujourd’hui circule différemment. Il faut également établir des actions collectives sous forme de plan. Il faut avoir une continuité dans nos actions et que celles-ci soient nationales. D’une région à une autre, on a le sentiment que chacun fait sa cuisine dans son coin, ce qui est dommage. Il faut cibler les actions des gouvernants par échelon, à l’échelon départemental ou régional prendre contact avec les chefs de juridiction c’est bien, mais prendre contact avec les magistrats pour débattre des dossiers nous occupant conjointement serait mieux. Sur la responsabilité professionnelle, combien de magistrats jugent que nous sommes responsables pour que la « victime » bénéficie d’un solvable bénéficiant d’une bonne assurance. Combien de magistrats savent que nos franchises sont importantes et que nos primes grimpent ? À l’échelon national, on se rend compte que l’orientation est prise, mais il faut renforcer le lobbying à tout niveau à l’instar des avocats qui se débrouillent beaucoup mieux que nous. Il ne faut pas se réveiller quand le notariat va mal, par exemple le tarif, nous devrions anticiper sur la réforme du tarif d’ores et déjà en proposant un tarif plus lisible et plus concret et qui revienne sur cette aberration de pénaliser les confrères qui établissent des actes de faible prix. Il faudrait également une plus grande transparence dans les comptes du notariat. Dans notre compagnie, nous avons maintenant une sorte de bilan financier sur les recettes et l’affectation de celles-ci aux dépenses en indiquant les postes. Il faudrait que nous ayons la même chose pour les CR et le CSN.«
• Bertrand Cuille (Milhaud, 30) : « on a bien mérité ce qui nous arrive !«
« Nombre de nos confrères peuvent faire leur « mea culpa », on a bien mérité ce qui nous arrive. On aurait tout à fait pu avaler les 1 600 créations sans aucun problème sur 10 ans : nous en avons 2 dans le Gard, et qui peut dire qu’il a subi un vrai préjudice ? On aurait dû demander la modification du tarif, ça fait longtemps qu’on le dit, mais on craignait trop d’y perdre… On est une profession de peureux larmoyants. Quant aux rentiers dénoncés par Macron, ils n’ont pas volé le coup de pied aux fesses qui leur arrive. Dommage que ça rejaillisse sur tous. Je pense à tel Office qui refuse de prendre une affaire à moins de 500 000 €. Et aujourd’hui les mêmes se plaignent… on rit ! Où est la confraternité ? Où est l’Officier Public ? Où est l’honnêteté ? Où est l’esprit du droit latin ? Où est l’esprit du droit notarial ? Où est l’esprit du droit notarial international ?«
• Éric Lafond (13) : « notre profession manque d’unité«
« Nous nous plaignons majoritairement de nos dirigeants qui décident avant de/sans consulter les réels intéressés. Il semblerait que le CSN fasse de même, ce qui désintéresse les notaires de son action. Notre profession n’est toujours pas soudée ; de plus en plus de confrères se transforment en avocat de leur client au lieu de se consacrer à l’unité de notre profession et sa solidarité. Les pratiques matérielles sont aussi à revoir pour une uniformisation nationale. Pourquoi le CSN ne guide-t’il pas le notariat dans une démarche d’unité, alors qu’il prône un sérieux que nous avons déjà ? Pourquoi d’une région à l’autre les avant-contrats ne sont pas établis sous la même forme et les tarifs varient autant ?«
Damien Berregard (22) : « Il faut arrêter de protéger les plus gros »
« Il est compliqué d’avoir un avis sur la gouvernance sans avoir connaissance de ce qui se passe réellement. Nous manquons totalement de soutien pour réorganiser la profession, il appartient à chacun de se dépatouiller dans son coin en fusions, bureaux annexes, déplacement d’offices, aucune info. Aucune aide. À quoi servent les instances ? De toute façon, elles ont été vidées de leur substance. »
• Julien Bernard (55) : « La réforme est le fruit de notre immobilisme ».
« Il est particulièrement dommage que pendant les périodes troubles que nous vivons, aucun leader ne projette une vision d’avenir pour notre profession.
La réforme est le fruit de notre immobilisme. Nous reproduisons perpétuellement le même schéma dont le moteur principal est la peur. Il faut renforcer la cohésion et le sentiment d’appartenance de la profession tout entière derrière une équipe porteuse des projets d’avenir qui feront ce que nous serons demain. La gouvernance actuelle ne démérite pas, mais son absence de légitimité et l’opacité de ses actions et projets l’empêchent de construire et de dynamiser notre belle profession« .
• Marc Bignell (06) : « le CSN a fait ce qu’il a pu »
« Je pense que le Conseil Sup’ a défendu avec ses moyens notre profession. Il la représente avec une certaine efficacité dans tous les rapports avec la société. Son rôle est nécessaire. Il donne aussi des axes de développement de notre profession qui sont judicieux. En revanche, les Conseils régionaux devraient avoir un contact plus direct avec la base ».
Frédéric Labour (91) : « Si rien ne peut évoluer, les instances ne servent à rien et cela ne sert à rien d’en faire partie« .
« Je ne suis pas attaché à l’aspect démocratique. Peu importe le mode de désignation dès lors que les représentants sont efficaces et dynamiques. Aujourd’hui, il n’y a pas de démocratie et aucune diversité dans le profil des élus. Le « carriérisme représentatif » fait peser le risque de sclérose dans la profession. Il existe un certain nombre de groupes de réflexion dont les travaux sont particulièrement pointus et aboutis, ils sont rarement consultés et on leur préfère les décisions d’un petit groupe « autorisé » comme disait Coluche. Par ailleurs, les conseils régionaux me semblent superfétatoires. Les compétences qui leur ont été attribuées sont soit redondantes avec les Chambres (dossiers de cession, honorariat déjà validés par les Chambres) soit pourraient être à nouveau du ressort des Chambres. Je crois que la profession a besoin de représentants locaux de proximité (particulièrement dans la perspective d’une augmentation du nombre de notaires) et nationaux. Tout étage intermédiaire me paraît inutilement coûteux en temps et cotisations« .