Demandez à un notaire ce qu’est, selon lui, le Conseil Supérieur du Notariat. Si votre interlocuteur est chronologiquement éloigné de la lecture attentive que chacun d’entre nous a du faire un jour de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, nul doute qu’il vous répondra « c’est le gouvernement de la profession ». En raison de cette croyance (et comme le disait si bien Armand Roth dans son rapport de « synthèse » du Congrès 2013 du SNN sur la gouvernance), il suivra « aveuglément » ce que le Bureau a décidé. Et pourtant…
Sans entrer dans l’argumentation que certains tentent de développer, depuis des années, sur l’ « illégalité » du CSN (comme de toutes les instances notariales), il suffit de lire attentivement l’article 6 du texte précité pour constater que « gouvernement » est un terme à tout le moins excessif.
« Le conseil supérieur représente l’ensemble de la profession auprès des pouvoirs publics. Il prévient ou concilie tous différends d’ordre professionnel entre les chambres des notaires ou entre les notaires ne relevant pas du même conseil régional, il tranche, en cas de non-conciliation, ces litiges par des décisions qui sont exécutoires immédiatement ; il organise et règle le budget de toutes les œuvres sociales intéressant les notaires.
Le conseil supérieur peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession.
Le conseil supérieur établit son budget et en répartit les charges entre les conseils régionaux.
Le conseil supérieur et les syndicats professionnels ou groupements d’employeurs représentatifs négocient et concluent les conventions et accords collectifs de travail.
Le conseil supérieur, siégeant en comité mixte, règle les questions d’ordre général concernant la création, le fonctionnement et le budget des œuvres sociales intéressant le personnel des études.
Le conseil supérieur, siégeant en l’une ou l’autre de ses formations, donne son avis chaque fois qu’il en est requis par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les questions professionnelles entrant dans ses attributions. »
Représentant, conciliateur, arbitre, coordinateur, consultant, certes… Gouvernement ? Que nenni !!! C’est du reste pour cette raison qu’en des temps lointains et oubliés, le Conseil Supérieur, qui tentait d’établir son hégémonie, s’est attaqué à l’Union Générale des Notaires de France et d’Algérie, ancêtre de l’actuel Notaires de France – Syndicat National des Notaires, ainsi qu’aux fondateurs du Mouvement Jeune Notariat. C’est pour cette seule et unique raison qu’il écarte, aujourd’hui, par tous les moyens, les « groupuscules » qui naissent périodiquement ici ou là et qu’il organise le recrutement des « Grands-Prêtres de l’Unitarisme » que sont la plupart des « nommélus » départementaux ou régionaux…
Ce qu’il ne peut pas « tuer » (et Dieu sait qu’il en a tué dans l’œuf, des initiatives et des compétences !), le CSN le rend dépendant, puis il l’annexe. Il a pour lui l’inertie d’une administration nombreuse et « dévouée » (uniquement à garder son confort, mais qui sait parfaitement donner le change) et le mouvement permanent des postes de « pouvoir » qui permet que rien n’arrive jamais à maturité qu’il n’ait créé, fondé ou copié, pour ne pas dire « volé ». Ses satellites, et les organismes para-notariaux prétendument indépendants les plus importants, ont même « cloné » la méthode, institutionnalisant le même règne d’administratifs hautains entourés d’obéissants cooptés. Et la machine tourne ainsi dans un silence quasi religieux, propulsée par des engrenages mous. Que survienne un « grain de sable », on lui savonne la planche. Et il se fatigue à glisser inexorablement vers la bouche du croco-deal. Oh bien sûr, il arrive que, dans des circonstances exceptionnelles, la chaleur d’une attaque provoque une éclosion de drôles d’oiseaux… Mais à peine ont-ils mis le bec dehors qu’on s’empresse de leur couper les ailes, de les gaver pour les engraisser et de les intégrer dans la basse-cour. Et ça fonctionne très bien, depuis très longtemps, du moins aux yeux des « bénéficiaires » du système.
Il en est de notre « gouvernement » comme de l’État, dont nous sommes souvent un peu le pitoyable « Minimoi » : les élites autoproclamées et déconnectées (les « nommélus » du sommet), formées au chuchotis incessant des hauts-fonctionnaires (nos bien chers à tous points de vue permanents) savent ce qui est bon pour le peuple et décident en son nom sans partage et sans réelle consultation. La seule différence, et elle est de taille entre le mini-clone et l’État, tient à la nature de la citoyenneté : on ne naît jamais notaire, on le devient. C’est même le principal sujet d’opposition entre « 1816 » et « 2017 » (ciel comme le temps passe) et il y aura toujours quelqu’un pour vous rappeler qu’en prêtant serment, vous avez prêté allégeance aux institutions notariales…
Le serment des notaires (« Je jure de loyalement remplir mes fonctions avec exactitude et probité et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent« ), ne signifie pas, ce me semble : « je m’interdis de réfléchir, car ce serait déjà désobéir« . Et le règlement national qui définit les fameux devoirs ne stipule pas, sauf erreur de ma part, qu’il faut renoncer à son libre arbitre et se soumettre, sans réserve, à toute décision imposée par les « squatters » de la Tour Maubourg. Bien sûr, les dernières modifications du Règlement National l’ont perverti dans le sens souhaité. Particulièrement la section VI « Envers la profession notariale » qui a pris un sérieux embonpoint, mais ces modifications ont été effectuées par « la caste des nommélus », hors tout contrôle de véritables représentants du peuple…
Personnellement, j’ai de grands doutes quant à la connaissance par les anciens de ces modifications du Règlement National, de même qu’il me semble curieux que de tels bouleversements n’aient pas fait l’objet d’une consultation nationale… Lorsque j’ai prêté serment, et qu’on m’a remis « en grande pompe » (vite fait avant d’aborder l’ordre du jour d’une assemblée générale trop chargée risquant de mettre en difficulté le traiteur chargé de nous alimenter !) le fameux règlement, il disait :
Article 16 : « Le notaire a toujours le droit d’apporter à ses organismes professionnels ses explications et ses défenses. Tout notaire a toujours le droit d’apporter à ses organismes professionnels ses suggestions et ses critiques pour améliorer l’exercice de la profession » (cette phrase est reprise dans de nombreux règlements étrangers dont le Sénégal, l’Ile Maurice…).
Dans la version actuelle, et depuis le 24 décembre 2009 (Joyeux Noël !), approuvé par Mme la garde des Sceaux le 21 juillet 2011, le texte a été déplacé et modifié :
Article 6.5 : « Le notaire peut et doit apporter à ses instances professionnelles ses explications et défenses ainsi que ses suggestions et critiques constructives pour améliorer l’exercice de la profession.«
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup… Ça veut dire qu’on était libre, et qu’on l’est déjà bien moins, voyez-vous ;-) ! Lorsqu’une instance dirigeante dont la légitimité démocratique est bien loin d’être assurée, sans parler de sa franchise, rappelez-vous le traquenard des États Généraux du 28 janvier 2010, modifie à son profit les règles applicables à la profession, on peut légitimement s’interroger sur ses intentions… Mais qui, dans le notariat, ose encore s’interroger ?
Didier Mathy