Je vais vous narrer vite fait une petite affaire simple, dont nos études de tabellions des champs sont encombrées à longueur d’année, et dont le traitement sera encore plus merveilleux dans les mois qui s’annoncent. Bien entendu, chacun de nous a plusieurs tonneaux en réserve de nectar aussi gouleyant et fruité que l’anecdote suivante…

J’ai été chargé, il y a presque 1 an, de la vente par un particulier, d’une parcelle de terrain en bois taillis perdu tout là haut dans la montagne, d’une superficie de moins de 6 000 mètres carrés, au prix mirifique de 800 euros. Les acquéreurs sont tous mineurs, et sont des neveux d’un vieux tonton qui connaissait le vendeur. Une moitié indivise du terrain est achetée par un mineur pour la moitié du prix. Soit 400 euros. L’autre moitié indivise du terrain est achetée par trois frères et sœurs mineurs, cousins du précédent, pour l’autre moitié du prix. Soit 400 euros. Chacun d’eux devenant propriétaire d’1/6e indivis.

Après signature d’un compromis, très long à mettre en place compte tenu des emplois du temps chargés des parents des acquéreurs mineurs, précédé des requêtes pour les Juges des Tutelles (2 juges différents, bien entendu), j’ai purgé le droit de préférence des propriétaires riverains, qui n’étaient que 8 (j’ai eu du pot !). Aucun des riverains n’a manifesté son vœu de faire valoir son droit de préférence (l’un d’entre eux n’ayant même pas retiré le recommandé que je lui ai fait).

Pour la SAFER, j’ai eu encore du bol : le Maire de la Commune a accepté de me délivrer une attestation faisant état de ce que le terrain vendu faisait partie d’un massif boisé de plus de 4 hectares, et j’ai notifié la vente à la SAFER, qui n’a pas réagi (quand on connaît l’endroit où se trouve ce terrain, on comprend vite qu’aucun agriculteur n’en voudra jamais).

Le vendeur signe au moyen d’une procuration que j’ai faite en tout début de dossier. Il est âgé, et j’espère que lorsque nous allons, enfin, signer l’acte authentique, il ne sera ni incapable, ni décédé. Les acquéreurs, par leurs parents, dûment autorisés par les Juges des Tutelles, signeront, les uns par procuration, les autres en personne, et j’encaisserai enfin le prix de vente mirifique de 800 euros, ainsi que les frais, dont le montant dépasse évidemment le prix, à l’aune du tarif actuel. La partie des frais représentant la rémunération de votre serviteur s’élève à environ 800 euros hors taxes. J’ai vraiment du pot dans cette affaire : les parents des acquéreurs mineurs sont en outre charmants, vifs, intelligents, et comprennent toute la difficulté de traitement d’un dossier semblable, en dépit de la faiblesse des capitaux exprimés. Lorsque nous seront entrés dans l’ère heureuse du nouveau tarif destiné à faire gagner du pouvoir d’achat aux Français, on va m’octroyer 90 euros hors taxe pour tout le travail fait et à faire.

Nous devrions signer l’acte authentique la semaine prochaine, en principe. Rien qu’avec le tarif actuel, mon travail est déjà rémunéré à perte. Au tarif horaire, je suis déjà beaucoup moins cher que le plombier polonais… Lorsqu’on me proposera, pour le même style de dossier, « le pourliche » de « nonante » euros comme disent nos amis suisses, je crois que j’expliquerai aux clients que, oui, bon, leur acte sera fait, mais, malheureusement « au bout d’un certain temps… », voire « au bout d’un temps certain… ».

J’ai eu cette semaine, comme nous avons tous eu, plusieurs clients, à qui j’ai expliqué cette belle réforme, et qui se sont avoués proprement scandalisés de ce qu’on s’apprêtait à faire à « leur notaire de campagne ». Chacun de nous a les mêmes histoires à raconter. Alors racontons les, bon sang ! On devrait relayer activement ce genre de saynète, relancer, parvenir à faire comprendre au public que c’est lui qui va trinquer ! On devrait surtout destiner notre prose de « rats des champs » à nos bons confrères « rats des villes », à seule fin de leur vanter les charmes de la province. Les « rézosocios », ça devrait servir à ça, non ?

Paul-Etienne Marcy