Loin de moi l’idée de commenter ou seulement de paraphraser l’œuvre de Sigmund Freud (1) qui aborde notamment les liens entre l’individu et la société. Mais, de même qu’il n’y a pas d’iconoclaste sans icône, il n’y a pas de tabou sans totem.
Pourquoi unir totem et tabou ? Commençons par quelques définitions. Selon Le Petit Robert, le totem est considéré « comme l’ancêtre et par suite le protecteur d’un clan, objet de tabous et de devoirs particuliers ». C’est un être mythique (2), on ne le consomme pas, on le craint, on le respecte et c’est le fondement des institutions, un modèle de comportement. Le totem, c’est donc ce qui est sacré.
Le tabou, quant à lui, nous vient de la Polynésie. C’est une prohibition dont la transgression entraîne un châtiment surnaturel. Par extension, le tabou est devenu le terme s’appliquant à toutes les interdictions d’ordre magique, religieux ou rituel. C’est en quelque sorte la forme négative du sacré, du totem.
Tout cela peut sembler bien primitif et très justement, ça l’est. Mais notre organisation, ne l’est-elle pas également ?
Ne rien dire
Évoquer les tabous, c’est le premier tabou notarial ! On nous répète sans cesse que nous n’avons pas de tabous, que la liberté de conscience, de parole est entière et sans réserve, qu’elle est non seulement tolérée mais encouragée… Bref, le notariat n’a aucun tabou… et donc en parler est tabou. Pour ramener la règle à notre tradition judéo-chrétienne, prétendre qu’il n’y a pas d’image sacrée fera taire les tentatives des iconoclastes. Et pourtant… Peut-on, par exemple, parler librement dans la profession ? La liberté d’expression ne serait-elle pas, pour celui qui arriverait à transgresser le premier, le deuxième tabou de la profession ? Notre totem ne ressemble-t-il pas à celui composé de nombreux êtres, mais dont aucune tête ne dépasse ? La pensée et la parole uniques, prétendues positives dans les instances comme dans certains organismes volontaires, n’ont-elles pas présidé à l’édification de ce totem ? Et pour parfaire le tout, comme chez les Polynésiens, n’existe-t-il vraiment aucun « châtiment » pour punir ceux qui ont transgressé ce tabou ?
Pouvoir et transparence
Quand on dit « tabou », plusieurs idées nous viennent spontanément à l’esprit. À commencer par les « élections » dans les organes officiels ou volontaires du notariat, la transparence dans les décisions prises, les accords avec les Pouvoirs publics (ou d’autres professions), les budgets des instances supérieures, la suppression des clercs habilités ou encore celle du partage des émoluments… Autant de sujets qu’il est difficile d’évoquer sans craindre d’être foudroyé sur le champ ! Même sort pour les questions d’argent, de rémunération, d’article 4. « Motus et bouche cousue » également sur les « nébuleuses » qui gravitent autour de nous… Quant à moi, non, assurément non, je ne transgresserai aucun tabou car « tout ceci est tabou » ! Au diable donc les « tabous », notre belle profession est unie dans le meilleur comme face au pire. Elle est au service du citoyen, justement responsable, reconnue et rétribuée. Vive la confraternité, vive le partage, l’égalité et la transparence. Vive « nous » et nos valeurs qui sont dignes des plus beaux totems ! À moins que…
1 – Totem und Tabu – 1913 2 – Il est originaire des Ojibwés, 3e nation amérindienne du nord.