Le monde change, le notariat aussi. Que va changer l’arrivée prochaine des notaires « Macron » ? Enquête à chaud.

L’arrivée prochaine de « Notaires Macron » est-elle de nature à créer une « fracture sociale » dans le notariat ? OUI 78 %

Pour la majorité de notre panel, l’arrivée de 1650 nouveaux notaires ne peut que jeter de l’huile sur le feu. La fracture « entre les enfants choisis du notariat et les enfants subis » est inévitable. Car, comme le souligne Frédéric Salagnat (69), « les notaires Macron nous ont été imposés… ». Dans ce contexte, nombreux sont les notaires encore lourdement endettés qui ont du mal à digérer le tirage au sort et son ouverture aux notaires installés ! « Quand certains, comme moi, s’endettent d’un million d’euros pendant 15 ans et sont obligés de travailler 75 heures/semaine et que d’autres (dont des grosses études parisiennes) vont profiter d’études gratuites pour nous faire concurrence, je pense qu’on peut parler de risque de fracture sociale » s’agace Antoine Richardin (41). Pour Hélène Desjacques (26), les « mastodontes », SCP et autres entités professionnelles (« qui vont placer leurs pions un peu partout ») sont encore plus à craindre que « les confrères Macron qui sont des individuels souhaitant simplement faire leur métier ». D’une façon générale, tout le monde espère ne pas avoir à vivre « à proximité d’une bestiole à tentacule ou coincé entre une grosse boîte et un notaire Macron ». Ici et là, c’est pourtant un notariat à 2 vitesses qui se dessine, avec d’un côté « des notaires installés à moindre coût et sans aucune idée de la rentabilité de leur étude » et de l’autre « ceux qui auront investis beaucoup et ne seront plus sûrs de pouvoir rembourser leur prêt ». Si quelques-uns (dans le 95 notamment) estiment que « l’activité est capable d’absorber ces nouveaux arrivant », notre panel craint, dans sa majorité, une « paupérisation de la profession » comme c’est déjà le cas pour les avocats (selon l’Observatoire du CNB, le nombre d’avocats a augmenté de 40 % en 10 ans alors que le volume d’affaires a stagné). « Il y a un risque important d’études en difficulté financière, de jeunes confrères vont souffrir comme tant de jeunes avocats » (Olivier Combe-Laboissière, 26). « Le gâteau n’est pas extensible sauf à espérer la multiplication des p’tits pains ou à envisager le départ anticipé des p’tits vieux » note un notaire du 80. « Il faut du temps pour rentabiliser une création, les difficultés d’une entreprise vont frapper de plein fouet des jeunes qui s’imaginent qu’ils vont bien gagner leur vie, juste en arrivant, alors qu’ils auront des charges » souligne son confrère.

À noter : 82 % des notaires interrogés estiment que l’arrivée prochaine des notaires Macron va fragiliser la profession.

Quel accueil réserverez-vous à vos nouveaux confrères ? « Ça dépendra… »

Pour la majorité de notre panel (64 %), tout dépendra de l’attitude des nouveaux entrants. Seuls 13 % prévoient d’être « chaleureux et confraternels ». 17 % réserveront à leurs nouveaux confrères un accueil « courtois, mais frais ». Et 6 % sont bien décidés à ne pas faire de cadeaux aux nouveaux arrivants !

Le fait qu’un notaire déjà installé puisse participer au tirage au sort est-il une bonne chose ? NON : 70 %

Non, non et non ! La participation des notaires installés au tirage au sort est vécue comme une trahison. Un « scandale ». D’ailleurs, pour Franck Julien (32), la loi Macron tout entière est une anomalie. « Nous avions un outil pour nommer un futur notaire méritant : le concours » argumente-t-il. Un peu partout, dans le 90, le 97, mais aussi dans le 74, on déplore le fait que le tirage au sort se soit « éloigné de l’idée d’origine qui était d’intégrer les jeunes ». « Comment se fait-il que des études de plus de 100 personnes n’aient que 3 ou 4 notaires à leur tête ? s’interroge-t-on dans le 74. « L’office existant qui souhaite installer un de ses associés ou salariés afin de créer des « points de vente » d’un office devrait être exclu du système » s’indigne Hugues Bourdot (14). Certains notaires disent éprouver « frustration » et « rancœur ». Beaucoup crient à l’injustice : « les notaires individuels ne peuvent pas participer ». Pour « se défendre » (sic), quelques-uns revendiquent « le droit d’ouvrir librement des bureaux annexes ». Au final, la confraternité et la solidarité semblent en prendre un coup. « Cela va être le règne du chacun pour soi ». Or, comme le souligne Arnault Merle, « si nous abandonnons le territoire de notre déontologie, pour des raisons économiques, (de survie parfois), notre profession explosera pour se fondre dans une nouvelle entité à créer… La profession unique ? ».

À noter : 9 % des notaires interrogés espèrent ouvrir un office supplémentaire par le biais du tirage au sort.

Demain, deux « populations notariales » cohabiteront : ceux qui sont installés et « les notaires Macron » qui arrivent. Comment voyez-vous l’avenir ?  77 % plutôt sombre

Notre panel est plutôt pessimiste lorsqu’il pense à l’avenir du notariat. La majorité craint une paupérisation des offices (avec, dans le meilleur des cas, une concentration des offices pour faire des économies d’échelles), une concurrence exacerbée, une dérive de la profession vers une commercialisation accélérée, une détérioration du service notarial, une baisse importante de la confraternité et des règles de déontologie ainsi qu’une mise en péril de la garantie collective. « Le notariat tel que nous l’avons connu va disparaître pour laisser la place à de nouveaux professionnels du droit. Comment saurons-nous trouver notre place sur ce marché très évolutif et concurrentiel ? » s’interroge Emmanuelle Chaix-Bryan (14). Pour Nadia Ballara-Boulet (74), « Macron a ouvert la boîte de Pandore » ; le notariat va rentrer dans l’ère de la concurrence à tout prix. Ce sera au détriment de la qualité et du service au client. Denis Parisien (24) partage ce sentiment. Selon lui, la concurrence va exacerber les différends entre notaires et ceux-ci « risquent de rejaillir sur la clientèle et la qualité du travail accompli ». Selon Christian Godard (77), « le notariat va vers une libéralisation totale avec en contrepartie un affranchissement de la tutelle de l’État ». Antoine Richardin, notaire à Mondoubleau, est très pessimiste quant à l’avenir de la profession, mais reste convaincu que « c’est par le notariat de proximité et traditionnel que la profession s’en sortira ». Quelques voix sont porteuses d’espoir, comme celle de Frédéric Salagnat (69) : « Le propre de l’homme est de s’adapter commente-t-il avec philosophie, je pense que le notariat y parviendra également ».

V.A.