Dimanche 3 octobre 2015. Mon épouse m’a demandé d’aller faire les courses à Carrechamps et d’acheter, au rayon juridique du supermarché, une donation entre époux…
« Chéri, tu penseras au pain ? » me lança-t-elle alors que je fermais la portière de ma voiture pour me rendre au Carrechamps local. Je dois dire que depuis la fusion des deux grandes enseignes commerciales françaises, je n’avais plus le loisir de me rendre chez les petits commerçants, ces derniers ayant été absorbés par le géant voisin. Je roulais depuis une dizaine de minutes lorsque je fus arrêté par la barrière descendante d’un passage à niveau. En attendant le passage du TGV Pompadour-Saint Egreve, j’observais l’ancienne maison du garde-barrière aujourd’hui en ruine, tout en écoutant France Elysée Info donner un dernier bilan de la collision d’un car de retraités et d’un train. Je m’imaginais la vie du garde-barrière, rythmée par le grincement de la manivelle servant à baisser les barrières à l’approche d’un train. Je devinais ses mains, fortes et calleuses, me disant bonjour alors que je patientais attendant le passage d’un train. Je sentais presque l’odeur du café fraîchement moulu par sa femme… J’en étais là de mes réflexions lorsque j’entendis quelqu’un klaxonner : les barrières étaient en train de remonter. Je repris alors la route vers l’hypermarché. On était dimanche et le parking était bondé ; depuis la suppression des 35 heures, il est vrai que la plupart des français travaillaient 6 jours par semaine. Au bout d’une dizaine de minutes, j’arrivai enfin à garer mon véhicule.
La liste des courses
En entrant dans la galerie commerçante, un flot de lumières rouges et jaunes m’enveloppa. Les haut-parleurs diffusaient sans discontinuer la liste des promotions du jour. Sur les écrans de télévision tournait en boucle une série de publicités pour du parfum, du chocolat, du papier toilette. Il est vrai que depuis la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision, les annonceurs avaient été contraints de trouver un nouveau mode de diffusion. Je sortis alors ma liste de courses et commençai à arpenter les rayons interminables de l’hypermarché. Passant devant le rayon pharmacie, je pris deux boîtes de tranxnox, mes dernières nuits avaient été agitées et il me fallait absolument récupérer pour négocier ce gros contrat international sur lequel je travaillais depuis plusieurs semaines. À côté du rayon pharmacie se trouvait le rayon fromage. Je choisis un bon Saint Marcellin fermier fabriqué à Taiwan suivant la recette authentique. Ma liste s’amenuisait, il ne me restait plus qu’à trouver du jambon blanc, des cailles farcies au foie gras et une donation entre époux. En effet, ma femme m’avait demandé d’acheter le formulaire de déclaration de donation entre époux.
Au rayon juridique
Le rayon juridique se trouvait presque au centre de l’hypermarché. Je n’avais jamais remarqué combien ce rayon était bien achalandé. Ses formulaires de tout type étaient posés dans les rayonnages. J’en lus quelques noms exotiques : donation-partage transgénérationnelle, séparation de biens avec société d’acquêts, mandat pour incapacité future, consentement à procréation médicalement assistée… Je trouvai enfin le formulaire cerfa 2047-2-bis III intitulé « donation en usufruit », à côté du formulaire cerfa 2047-2-bis II intitulé « donation avec choix de quotité disponible spéciale entre époux ». Lequel choisir ? Je cherchai vainement un vendeur, mais le rayon était désespérément désert. Alors je pris les deux, maudissant l’absence de conseil de l’hypermarché tout en me remémorant le jour où, enfant, j’étais allé avec mes parents voir un notaire, profession aujourd’hui disparue. Il s’agissait d’une agréable jeune femme qui nous avait reçus pendant près d’une heure et qui avait longuement parlé à mes parents. Mes parents avaient l’air de comprendre ce qu’elle disait et étaient sortis pleinement satisfaits de leur rendez-vous, ils m’avaient même offert une glace « pour fêter ça » avaient-ils dit. Je me souviens encore aujourd’hui du goût qu’avait cette glace…