Chez nos amis anglo-saxons, l’ours (Bear) et le taureau (Bull) ont le privilège d’imager les réactions du marché. Le plantigrade représente le calme, mais aussi la masse qui pèse sur les prix et les fait descendre. Le second, plus combatif, propulse le marché à la hausse. Or, l’une des questions importantes qui hante actuellement l’esprit des banquiers et celui des particuliers (auxquels ils ont beaucoup prêté) est : “Le marché immobilier est-il bearish ou bullish ?”. En d’autres termes, va-t-il monter ou descendre ?
La presse nous laisse, bien souvent, sur notre faim lorsqu’il s’agit du prix des logements, les statistiques sur lesquelles elle s’appuie prêtant parfois à confusion. Prenons l’exemple du 6e arrondissement de Paris. Pour décembre 2005, la Fnaim donnait, dès le 6 janvier 2006, un prix moyen de 6 634 €/m2 et une variation de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Quelques jours plus tard, les notaires parisiens annonçaient sur le même arrondissement pour le 3e trimestre 2005, un prix moyen de 7 829 €/m2 avec une augmentation de 14,1 % sur un an. Enfin, pour mars 2006, LaCoteimmo, qui fait la synthèse des prix d’offres des sites Immostreet et SeLoger, affichait un prix moyen de 9 508,87 €/m2 avec une évolution annuelle de + 6 %.
Un observateur peu averti pouvait en déduire que, sur le 6e arrondissement, les prix avaient baissé de 18 % sur le dernier trimestre 2005, puis augmenté de 43 % le trimestre suivant. En fait, le chiffre de la Fnaim porte seulement sur les transactions enregistrées par les agents immobiliers locaux adhérents à l’institution. Il ne peut donc servir de base à une évaluation précise. Quant à LaCoteimmo, elle reproduit les espérances des vendeurs et non les prix réels. Seuls les chiffres présentés par les notaires font autorité car ils sont le résultat de l’ensemble des transactions réalisées sur un secteur donné. Leur qualité suppose cependant des délais difficilement compressibles et donc une présentation parfois tardive. Indépendamment des statistiques, quelques observations permettent d’avoir une bonne perception du marché. Tout d’abord, le nombre annuel des transactions sur le neuf, l’ancien et les terrains à bâtir (1) dépasse le million.
En 5 ans, un quart des ménages a augmenté ou renouvelé son patrimoine immobilier. La moitié des particuliers constituant un ménage ayant un revenu annuel inférieur à 9,8 K€, les acquéreurs sont, chaque jour, moins nombreux et il est clair que la demande ne peut que fléchir. En outre, trois éléments expliquent l’essentiel des variations du marché : les taux d’intérêts, les revenus et l’incertitude sur le niveau des retraites. Pour la première fois depuis 18 mois, le taux de référence européen pour les emprunts à 10 ans a dépassé 4 %. Ce facteur ne s’est pas encore traduit par un renchérissement des crédits immobiliers, mais il renforce un sentiment “bearish”. De plus, les salaires des classes moyennes n’évoluent plus : aujourd’hui, un salaire annuel, gagné entre 30 et 35 ans, permet d’acheter 4 m2 dans Paris contre 9 m2 en 1986. Seule la nécessité de se constituer un patrimoine pour s’assurer une retraite apparaît comme un facteur “bullish” ; il équilibre toutefois de plus en plus difficilement les deux autres. C’est du moins ce qu’il ressort de cette nouvelle enquête sur l’évolution du marché.
L’activité
Elle demeure assez stable, mais les prévisions sont plus réservées. Les carnets de commande apparaissent mieux garnis, témoins d’une difficulté croissante dans les transactions. Me J.L. Fayard au Mans observe “une baisse significative du volume des transactions. Les prix sont âprement discutés par les acheteurs”. Parallèlement, le rapprochement entre les prévisions globales d’activité des études et celles de leur département négociation indique une baisse du chiffre d’affaires “négo”. Ainsi, les promesses de ventes enregistrées actuellement permettraient un maintien du niveau d’activité sur les deux mois à venir, mais la production de nouveaux avant-contrats se révèlerait plus faible.
Le conseil des notaires
63 % des notaires interrogés conseillent prioritairement la vente. Un petit tiers d’entre eux est persuadé que, dans leur région, les prix vont poursuivre leur ascension et conseille l’achat.
L’environnement économique
Avec la dernière augmentation des taux à long terme, tant aux Etats-Unis (5%) qu’en Europe (4%), les conditions de crédit devraient être moins favorables dans les mois à venir qu’en 2005. Pour le moment, seul le marché des actions a subi un sévère repli, les Bourses européennes perdant près de 3 % durant la semaine du 8 mai. En conclusion, il faut plutôt célébrer l’ours qui affole nos Pyrénées que le taureau qui hante nos corridas pour donner une image réaliste de ce qui nous attend…
Les prix
Notre panel demeure plutôt pessimiste, sauf pour les prix des terrains. 34 % ont constaté une hausse des prix et 19 % une baisse. Pour les mois à venir, ils sont 26 % à prévoir une dégradation des prix et 14 % à miser sur la poursuite de la hausse. Les autres s’inscrivent dans la stabilité. Reste à savoir si leur perception globale du marché est fiable. D’où notre graphique qui rapproche les variations de l’indice Insee-Notaires sur le prix des maisons en province avec les constatations faites, le même mois, par notre panel et leurs prévisions de deux mois plus tôt. Il apparaît clairement que ces variables évoluent parallèlement depuis 3 ans et que la courbe “prévue” est plus en retrait que les deux autres. On en conclut que, durant le premier semestre, l’indice Insee devrait rester au niveau établi en décembre, voire légèrement diminuer.
Pour comprendre le graphique Rappelons qu’il s’agit d’une vision de la tendance du marché et non des prix pratiqués. Ainsi lorsque l’augmentation des prix du logement passe de 8 % à 10 %, la tendance est haussière. Mais si cette augmentation ne s’avère être que de 6 % contre 8 % la période précédente, la tendance est à la baisse. Sur ce graphique, les courbes sont superposées, la plus basse étant celle des prévisions faites deux mois plus tôt, celle du milieu décrivant les opinions sur l’état du marché constaté à un moment donné par notre panel et la plus haute correspondant aux variations de l’indice Insee, valeur multipliée par 10 pour qu’elle soit plus visible. Ainsi en avril 2005, l’un des sommets de ce graphique, l’indice Insee était de 159,90 en augmentation de 4,1 % par rapport au trimestre précédent. La valeur correspondante de 0,41 s’est ajoutée à un solde d’opinions “constaté” de 0,47 et à un solde d’opinions “prévu” de 0,24 pour culminer à 1,12.
1 -Suivant les comptes du logement, le patrimoine des terrains bâtis des particuliers a doublé entre 2000 et 2003, passant de 794 à 1 663 milliard d’euros.
2 -Cf. article de Louis Chauvel, “Le Monde” du 3/05/06.