L’article paru dans “les Échos” du 10 septembre dernier a causé une forte déflagration dans un ciel notarial passablement nuageux, qui n’avait pas besoin de ce coup de tonnerre supplémentaire.

 

Mnémosyne, déesse de la mémoire… Comment ne pas se souvenir que le notariat s’était déjà gravement fourvoyé dans le passé avec la malheureuse aventure de Sydoni 1 ? Que penser de la perspicacité des dirigeants de la profession qui ont porté ce nouveau bébé sur les fonts baptismaux ? Dans la revue de l’assemblée de liaison des notaires de France de décembre 2003, le président Roth affirmait sa conviction : “cette création était stratégiquement indispensable. Le notariat a besoin de cet outil pour ne plus être dépendant d’un nombre limité de société commerciales”. Est-il pertinent d’imaginer qu’un produit, logiciel ou autres, sera meilleur que ceux proposés par la concurrence du seul fait qu’il soit fabriqué par une structure purement notariale ?

 

Les facteurs…

Parmi les nombreux facteurs qui fondent la réussite d’une entreprise, certains sont incontournables : l’importance du marché, l’intensité de la concurrence et la qualité des produits proposés. Sur ces trois points, il y a eu erreur d’appréciation. Mais il y a eu également défaillance dans le management. Lorsqu’une entreprise démarre, et même si elle bénéficie du concours de fées bien argentées, il lui faut un socle : ou bien une équipe motivée qui va se défoncer pour gagner, mais elle ne le fera que si elle a complètement confiance dans le capitaine de route. Ou bien un fonds de commerce ayant fait ses preuves. Mnémosyne n’a pas bénéficié de l’assise solide sur laquelle s’est constituée Unofi 2.

 

Les interrogations

Cet ensemble de handicaps ne pouvait que conduire à un échec. Six ans plus tard, face à un immense gâchis humain et financier, voici venu le temps des interrogations, car ils sont nombreux dans le notariat à attendre des réponses, des vraies, pas des pirouettes arguant que tout cela n’est au fond qu’une broutille sans importance. L’omerta ne peut plus être de mise lorsque l’échec est autant avéré.

 

• Sur le management de l’entreprise :

- que penser de cette politique de la fuite en avant et des projets pharaoniques encore d’actualité il y a peu, comme en témoigne cet extrait du PV de l’AG du 30 juin 2008 : “l’objectif de Mnémosyne étant de créer au cours de l’année 2008 et du premier semestre 2009 sept autres directions régionales” ?
- comment peut-on perdre jusqu’à 1 million d’euros par mois et ce depuis plusieurs années sans que personne n’y trouve à redire ?
- qu’est devenu tout cet argent ?
- que vont devenir les collaborateurs de l’entreprise qui payent au prix fort l’incurie de leur direction ?

 

• Sur la responsabilité des administrateurs :

- comment ont-ils pu faire preuve d’aussi peu de vigilance, alors que les preuves de la catastrophe (déficits, licenciements, procès) s’accumulaient à une vitesse vertigineuse ?
- faut-il imaginer que les liens créés par l’histoire et les histoires enlèvent toute capacité de lucidité ?
- comment seront sanctionnés ces manquements graves au devoir de responsabilité ? qui va en établir le bilan exact ?
- n’aurait-il pas été raisonnable que figurent au sein du Conseil des administrateurs indépendants et reconnus pour leur expertise managériale, qui auraient pu tirer la sonnette d’alarme ? Est-il convenable que ceux qui ont provoqué ce gâchis continuent à exercer des responsabilités au sein des autres filiales de Thémis ?

 

• Sur les dommages collatéraux :

- Quels vont être les impacts négatifs sur les autres activités de la SAS Thémis, dont fait partie Unofi ? Et plus généralement sur l’image du notariat ?
- Comment ne pas penser que tout cet argent parti en fumée aurait été beaucoup mieux utilisé pour aider les jeunes notaires qui, face à la crise, ont un mal fou à joindre les deux bouts ?

Un échec peut être utile si l’on sait en tirer la leçon : le notariat a beaucoup plus à gagner (et beaucoup moins à perdre !) en consacrant son talent et son énergie à faire correctement son métier, plutôt que de s’engager à la légère dans des secteurs d’activité qu’il ne connaît pas et qui requièrent une vraie expertise.

 

1 – Pour les plus jeunes, Sidoni était le nom d’une entreprise ayant vocation à développer une base de données juridiques. L’aventure a tourné court et a obligé les associés (CSN et Caisse des Dépôts) à supporter une perte conséquente.

2 – Toujours pour les plus jeunes, UNOFI s’est construit sur les bases du CNPH (Centre National de Prêts Hypothécaires de Pompadour), qui fonctionnait bien et bénéficiait d’une situation financière parfaitement saine.

 

La SAS Mnémosyne au capital de 9 722 025 € est une filiale à 66,67 % de la SAS Thémis dont la majorité du capital est détenu par la profession et qui a pour autres filiales la Sécurité Nouvelle et les sociétés du groupe Unofi. Les pertes de Mnémosyne depuis sa création : 2004 : 3 298 000 € 2005 : 4 642 000 € 2006 : 5 154 000 € 2007 : 5 764 000 € Pour 2008, la perte annoncée dans les média est de 8,1millions d’euros. Pour 2009, il semble que l’on s’oriente vers une perte prévisionnelle de 11 millions. Au plan comptable, l’opération Mnémosyne se solde par un passif minimum de 37 millions d’euros.