On dit que les Cassandre ont toujours raison. Ce n’est pourtant pas ce que je souhaite, moi, l’arrière-petit-fils de notaire (1) ! En ce matin pluvieux, j’ai entre les mains le rapport du Syndicat National des Notaires (SNN), intitulé « Non à une mort programmée ». Il m’a été adressé en qualité de notaire honoraire. Première réflexion : nous sommes donc mieux traités que par le CSN ; seconde réflexion : on en est donc là !

 

Une idée saugrenue me vient : il y a quelques dizaines d’années à l’époque du président Mitterrand, on disait que le notariat avait été sauvé de la folie « nationalisatrice » de gauche par un notaire clermontois, un compagnon de stalag du Président. Devons-nous croire que le notariat serait victime à présent de la rancune tenace que porte le président Sarkozy à notre ancien président Alain Lambert ? Une idée saugrenue, vous dis-je… Notre profession pourrait-elle perdurer ou disparaître pour si peu ?

Syndicat et CSN

La lettre d’envoi porte en tête « Syndicat National des Notaires ». Il me vient aussitôt comme un mauvais relent. L’image du syndicat français, telle qu’on la connaît : des files de gens sur des quais de gare, épuisés, résignés et vaincus par l’oppression syndicale aux couleurs communistes ou extrémistes, en tous les cas rétrogrades, qui prétend défendre l’emploi et, bien entendu, les consommateurs. « Die Zeit », l’hebdomadaire allemand, s’interrogeait sur le modèle syndical français et constatait un paradoxe étrange : « Peu d’adhérents, beaucoup d’argent ». Ils ont en plus une armée de salariés dispensés de travailler qui jouissent d’avantages exorbitants. Ils sont en outre payés pour participer à la gestion du système social et du conseil économique et social, un organisme ruineux… J’en passe et des meilleures. Serait-ce la raison de la défiance pour laquelle le CSN a ignoré le SNN tout en réclamant, haut et fort, une solidarité exemplaire au sein du corps notarial ? À bien y regarder (mais je ne suis ni enquêteur, ni journaliste), je ne crois pas. Et s’il y a un gâteau à partager et des gourmands autour, tout le monde sait que c’est au sein du CSN et de ses satellites commerciaux, mais sûrement pas au SNN dont la bourse est plate. Les syndicats défendent trop souvent des intérêts catégoriels sans se soucier de l’intérêt général. Serait-ce pour ce motif que le CSN aurait écarté le SNN, par lucidité et pour défendre le notariat de ses mesquines tendances au conservatisme ? Si tel était le cas, il faudrait s’en réjouir… Mais ne pourrait-on pas deviner plutôt, dans la procrastination de nos dirigeants, et le retard pris dans la lutte contre le projet des avocats, un calcul concerté pour vendre au meilleur prix les études les plus importantes appartenant aux notaires faisant partie de la caste dirigeante de notre profession ? Est-il absurde de penser qu’ils ont été uniquement préoccupés de « sauvegarder leur positionnement social et politicien, leurs privilèges économiques et financiers » ?

 

Les notaires sont les Romains

Page 14, je lis ce passage concernant notre garde des Sceaux : « les applaudissements des 7200 notaires de France qui l’ont accueillie le 28 janvier 2010, lors de son intervention devant les États généraux du notariat, étaient la manifestation de la courtoisie et du respect (…), mais en aucune façon la manifestation majoritaire d’un accord sur un ensemble de dispositions législatives dont ils savent qu’elles sont partisanes et destructrices ». Voilà qui est dit. On aurait aimé l’entendre énoncé par ceux qui conduisent notre profession, comme on aurait apprécié être associés au mouvement de solidarité qu’ils appellent de leurs vœux et voir défiler avec nous, lors des Etat généraux, l’ensemble des salariés du notariat. Fascinés à leur tour par le modèle anglo-saxon, ils ont oublié les principes universalistes clairement énoncés par le Conseiller Réal. À l’image de notre ancienne garde des Sceaux qui s’est empressée de revêtir la robe des avocats, voilà que nos responsables nous poussent dans une étreinte mortifère avec ceux qui se sont proclamés nos concurrents ! Les avocats sont les Gaulois par tempérament, par goût de l’indépendance. Les notaires sont les Romains, organisés, structurés, hiérarchisés et, par conséquent, le CSN le promet aux confrères : la victoire nous appartiendra immanquablement. Sauf que la décadence romaine a détruit en quelques années un des empires les plus puissants de tous les temps. À trop savourer sa puissance, repousser les réformes réclamées dès les années 60, vivre dans le repli entre soi, pratiquer le malthusianisme, fréquenter les puissants, cultiver le secret, refuser la démocratie… on prête évidemment le flanc à toutes les attaques barbares. Pour moi, l’une des étapes de cette déliquescence fut le texte destiné à permettre le paiement des présidents et des membres du bureau, dans les Chambres et les Conseils régionaux. À ma connaissance, les confrères qui animent les Congrès ne sont pas payés, et pourtant quelle somme de travail !

J’ai entre les mains cet ouvrage, ce cri… cet appel à la raison : « Rejoignez-nous pour combattre ce projet dévastateur ». Si j’étais encore notaire, je lirais l’ouvrage et, sans abandonner le CSN, je rejoindrais le SNN. Tout n’est peut-être pas perdu, mais les jours comptent. Il ne faut plus se contenter de sages paroles. Survivants du siècle des Lumières, réveillez-vous. Ils sont devenus fous !

 

1 – Je précise que je n’ai pas hérité de l’étude, mais que j’ai acheté des parts à mon patron de l’époque grâce à un emprunt auprès de la CDC.