DUBUISSON_547Je l’ai lu !!! Le polar de l’année 2013… « L’authenticité » par Laurent Aynès et ses acolytes. Un polar ? Mais oui ! Un livre à suspens où l’on traque, au fil des pages, une preuve du crime ou, du moins, un crime de preuve. Enquêtons.

Agents immobiliers, avocats, Commission européenne, associations de victimes, ultra-libéraux… on ne manque pas de « procureurs » pour accuser les notaires du crime de « fabrication de preuves ». Et ce, en vue de punir les coupables d’une punition étrange consistant à priver les notaires du droit de continuer à perpétrer seuls… ce « fameux crime ». Ce crime, vous l’aurez reconnu, c’est l’authenticité ! L’art de produire un acte qui soit auto-suffisant serait criminel ! Du moins aux yeux des avocats (et autres rédacteurs professionnels) frustrés de produire des actes qui ne sont pas porteurs de leur propre efficacité. En effet, pour ces actes « in-authentiques » (si l’on peut dire), de deux choses l’une :
– soit ils sont spontanément respectés et donc, on n’a pas à chercher une raison à leur efficacité ;
– soit leur application suscite un conflit et alors on ne peut en obtenir le respect sans le secours du juge, ce qui suggère qu’ils ne servent à rien, la cause de l’exécution résidant dans le jugement et non dans l’acte.
Ces quelques lignes ne vous dispensent pas de lire le rapport de Laurent Aynès où vous dénicherez une vraie définition de l’authenticité (1). Mais vous aurez beau vous coltiner les 230 pages, vous ne trouverez pas pourquoi l’authenticité définie comme « l’administration d’une justice volontaire à laquelle se soumettent préventivement les sujets de droit » est réservée aux notaires ou huissiers et ne peut pas être exercée par les avocats et autres oiseaux de même augure.

Parce que c’était lui…
Je suis très fier de porter le même prénom qu’un humaniste du XVIe siècle dont la pensée est, malheureusement, oubliée de nos jours. L’humaniste, c’est Étienne de la Boétie. La pensée, c’est que l’homme doit se dresser contre la servitude volontaire. En 1549, le philosophe rédigea son discours sur la servitude volontaire sous-titré « Contr’Un ». Que dit-il ? Que l’homme est libre, que cette liberté doit être respectée parce qu’elle est sacrée et que la seule limitation des libertés humaines qui soit légitime est celle qui procède de la volonté commune. Appliquons ce raisonnement aux actes privés.

…parce que c’est nous (2) !
Lorsqu’on signe un acte en tant que partie contractante, on est lié par un engagement, c’est-à-dire obligé de le respecter même si finalement il nous déplaît. Lié, obligé, obligation… tout ça relève d’une même idée : être tenu par un lien ! Autrement dit, subir l’interdiction de faire autrement que ce à quoi on est engagé. C’est une limitation de nos libertés ; c’est être enchaîné. Mais cette négation de la liberté n’est pas illégitime puisqu’elle procède de notre volonté en vue de favoriser la cohésion humaine. C’est l’âme de notre responsabilité et c’est beau. La morale, cette pulsion de la raison commandée par le cœur, suffirait à assurer la régulation de tels engagements, mais la morale… Bref, parfois, il faut pousser le débiteur à s’exécuter ! Et contraindre le récalcitrant, c’est employer la force contre lui, en lui opposant :
– une date d’engagement antérieure à son refus d’exécuter,
– un contenu d’engagement contraire à ce qu’il prétend,
– la contrainte publique pour qu’il agisse correctement.
Il a fallu 200 ans pour que l’idée la-boétienne de la République s’impose dans les rapports privés et que la France, à ce titre, complète sa panoplie démocratique : tout ce qui peut être opposé à l’homme libre (date, contenu, contrainte) doit procéder de l’autorité publique ! Et c’est là notre garantie de citoyens libres et égaux en droit ! Où sont les garanties de la République et l’équité démocratique :
– lorsque la date résulte de l’acte d’un professionnel qui n’a pas de répertoire ?
– lorsque le rédacteur du contenu peut s’en prévaloir contre une seule des parties ?
– lorsqu’un particulier peut employer la force ?

Et puis… parce que c’est tout !
C’est donc pour satisfaire aux règles éternelles de la Démocratie, pour respecter les principes intangibles de la République et pour garantir la liberté fondamentale de tous et de chacun que l’authenticité ne peut être donnée que par l’État ou sous son contrôle. Par conséquent, l’acte d’avocat qui limite les libertés sans le contrôle de l’État, c’est la mort de la République, c’est la fin de la Démocratie et ce n’est pas la France. Vive la République, vive La Boétie !

1. Cf. page 18, § 5, lignes 12 à 14.
2. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », l’amitié de Montaigne pour La Boétie.