Lorsqu’on pénètre dans la jungle de notre métier, on est souvent tenté de vouloir démontrer son savoir. C’est une tendance naturelle qu’il faut pourtant combattre. D’une part, parce que le notariat n’est pas une boîte à outils et d’autre part parce que le client sait par définition que le notaire est le sachant. Inutile donc de « perdre son temps ». En revanche, la passion de transmettre le mieux possible au public fait la grandeur de notre métier. Rappel de quelques fondamentaux…
1- Le sens du partage
Plus ou moins vite, il faut susciter le désir de la part du client de s’approprier l’autorité : il doit devenir « acteur de sa vie » et non plus « sujet ». Le client doit en effet ressortir grandi du rendez-vous. Le jeune installé est peu formé à partager sa position. Il est même souvent persuadé d’être le seul à détenir la solution ; il pense alors que cela se suffit en lui-même. Votre future étude doit pourtant être un espace de liberté et de parole pour toutes les parties et un terrain d’exercice en réel des libertés publiques.
2 – La neutralité, la grande illusion
Lors de mon installation, comme beaucoup, j’étais convaincu d’être « neutre » ou de devoir l’être comme un juge de paix. Erreur ! Je me suis aperçu, avec du temps, que notre rôle est tout sauf neutre, dans ce qui se passe ici et maintenant, dans le bureau. La neutralité est une illusion totale. Il n’y a pas que l’interaction entre les clients dans le rendez-vous, il y a beaucoup plus : l’interaction de la triade (1) Nous sommes fondamentalement acteurs autant que les clients entre eux. Acceptons-le puisque nous ne sommes pas juges. Ne ratons pas une partie du scénario !
3 – Le client, un partenaire
Nous sommes tous conscients d’exercer dans un lieu très symbolique, rappelé constamment par les panonceaux, le sceau, la prestation de serment, etc. Le client le sait aussi, même si c’est confusément parfois. Par contre, nous mettons beaucoup de temps à voir que le client vient lui aussi avec ses symboles : sa famille, sa conception de la société, de la loi, de l’argent, du juste… Les paroles du client traduisent ses symboles, au sens grec du terme, qu’il vient partager. Ce sont des assiettes que l’on casse, chacun repartant ensuite avec un morceau. Il nous faut donc prendre « un morceau » et très vite déchiffrer le sens qu’il y attache si l’on veut partager et avancer vite avec lui. On est loin des motivations d’installation (aspects concrets du droit, titre, position…), mais on est aussi très loin d’un public captif à des fins commerciales. Car le client est d’abord pour nous un partenaire. Notre consultation n’a rien d’une consultation médicale (« dites ah !… »), nous sommes plutôt comme l’instituteur dans le film « Être et Avoir ». Nos enjeux ne sont pas ceux d’un épicier, mais ceux d’un choix de société et ceux de la régulation.
4 – Le client, le droit à la parole
Le client a la parole, il est maître de son dossier. Il ne doit pas la prendre par coup de force, même si nous devons gérer le paradoxe : donner la parole mais pas trop, parce c’est du temps et de l’argent, sauf cas rare de technique pure comme une réitération de compromis de vente. Le client ne doit pas être asservi par notre savoir et passer à la caisse comme à la sortie de l’hypermarché. La question du jeune installé doit donc rester : que fais-je du client ? Le renseigner n’est pas suffisant, nous devons mutuellement nous transmettre le feu. Pour cela, nous devons d’abord viser l’humain et pas la performance, ni la technique des montages astucieux qui, à long terme, sont balayés par la vie. De ce point de vue, la médiation sera, sans nul doute, l’enjeu prochain du futur installé, car nous devrons investir tôt ou tard notre terrain : l’amiable. Nous devons nous situer aux antipodes du judiciaire où la parole et le dossier du client sont totalement confisqués par les avocats et être l’opposé des émissions télévisées comme « A vous de juger ». Il nous appartient d’équilibrer le temps de parole laissé au client et nos impératifs de compte d’exploitation. C’est ce réglage délicat qui est notre challenge et notre marque de fabrique (pas le logo). Tels sont les défis que j’ai découverts après l’installation. Vous aurez sans doute aussi à partager le secret du feu rouge des hommes. Parole maintenant aux clients. La prudence à tous…
1. lire les livres de Watzlawick et de l’Ecole de Palo Alto.