Tous les notaires ont une double casquette, ou plutôt, au regard de la comparaison qui va suivre, une double toque. Tel le dieu Janus aux deux visages, nous devons à la fois être notaire “en externe” et chef d’entreprise en “interne”.
Lors de son rapport de synthèse du 34e congrès du MJN (Séville 2004), Mme le Professeur Sylvie Ferré-André a attiré notre attention sur la dualité “notaire – chef d’entreprise” et sur le risque de présenter au public un visage de chef d’entreprise.
Consumérisme, libéralisme
Se présenter sous cet aspect offre le flanc à deux attaques, celle du consumérisme et celle du libéralisme. Tout d’abord, les consommateurs, directement ou par le biais de leurs associations, exigent aujourd’hui autant de leur notaire que du magasin Darty. Cette tendance multiplie leurs attaques lorsque nous ne pouvons les satisfaire rapidement. Nous passons alors notre temps et notre énergie à leur en expliquer les raisons (délais administratifs, formalisme). Souvent en vain, car, comme dans les autres domaines, le consommateur de droit veut tout et tout de suite ! Ensuite, apparaître comme une entreprise à part entière peut générer les attaques des ultra-libéraux. Voyant dans le notariat un secteur de prestation de service sans autre spécificité, ils pourraient souhaiter lui voir appliquer les mêmes règles de libre concurrence, libre installation, libre circulation, suppression du monopole et du tarif. Face à ces risques, nous devons présenter à nos clients, aux institutions nationales et européennes, notre étiquette “notaire”, c’est-à-dire d’officier public, détenteur du sceau de l’État et investi d’une mission de service public. Nous devons réaffirmer que le tarif est le seul garant de l’égalité des consommateurs.
Secrets de cuisine
Mais en interne, qui sommes-nous ? Lorsqu’un consommateur se rend au restaurant, il y va pour manger, pour consommer au sens propre, et il attend que ce soit bon, sain, servi aimablement et au juste prix. Si je vais chez “Georges Blanc”, je me moque de savoir ce qu’il se passe en cuisine. J’y vais parce que c’est lui, même si je sais pertinemment qu’il n’est pas seul derrière son piano. Certes, il élabore les mets comme nous montons nos dossiers et nos actes, il se fait aider ou remplacer selon les nécessités, comme nous le faisons avec nos collaborateurs. En revanche, les petits détails de sa cuisine interne, le marché ou les fournisseurs (nos demandes de pièces), la préparation des plats (nos rédactions d’actes), la gestion du personnel et des questions financières (rôles de nos comptables), jusqu’au moindre détail du service (réception/consommation de nos actes ou de nos conseils) n’intéressent nullement nos clients ! Pourtant, seraient-ils aussi bien servis s’il n’y avait à la tête du restaurant ou de l’étude un véritable chef d’orchestre, formé au management tout autant qu’au droit ou à la gastronomie ?
Management
L’apprentissage de notre art juridique ou culinaire fait généralement l’impasse de celui du management. Il nous faut plus de management dans notre formation ! Car si nous voulons continuer de servir nos clients, de leur mitonner des actes “aux petits oignons”, si nous voulons qu’ils continuent de savourer “au juste prix” nos conseils et la sécurité de nos actes authentiques, nous devons impérativement avoir un staff qui fonctionne “en cuisine”, sans accrocs. Chacun doit y être à sa place, prêt à faire face aux coups de feux de plus en plus fréquents, tout en sachant les laisser mijoter lorsque cela est nécessaire, apte à concocter petits et grands dossiers, tout en gardant toujours sous la main le sel de l’imagination. Pourtant, de tout cela, le client n’en a cure. Seul lui importe le produit fini. Il va chez le notaire pour voir un notaire (ou un clerc de haut niveau) ; il se moque pas mal de notre petite cuisine interne et de ses éventuels dysfonctionnements. Il veut un produit de qualité (d’où l’importance de la DQN). Car l’addition paraîtra toujours plus salée si le plat est mauvais. Brillat-Savarin, né comme moi à Belley, éminent (et peut-être premier) gastronome et juriste, ne pourrait qu’approuver ma comparaison. Et à l’heure où la vie gastronomique trépide sous l’octroi ou le retrait des célèbres étoiles, on peut se demander si l’on verra un jour un guide notant les études de France et dans lequel des “mariannes” remplaceront les étoiles ou les toques…