Mi-novembre, en Provence. C’est le moment de récolter les olives. Perché sur une échelle en bois appuyée sur la fourche d’une branche, je presse avec les doigts le long des tresses que forment les fines ramures de l’arbre. Les olives tombent dans le seau en faisant un son caractéristique et joyeux qui s’estompe jusqu’à devenir infime au fur et à mesure qu’il se remplit d’oléagineux. Presque en face de moi, juchée sur une branche, une avocate amie accomplit la même tâche. Je l’interroge sur l’acte d’avocat…

 

Moi : Tu es au courant de l’acte d’avocat ?

Mon amie avocate : C’est quoi ?

 

Moi : Un acte signé par les avocats avec les clients, dont la valeur, sans être égale à l’acte authentique, aurait une valeur supérieure à l’acte sous-seing privé.

Mon amie avocate : J’en ai vaguement entendu parler…

 

Moi : Donc, le bâtonnier ne vous a pas entretenu de la proposition du Député de l’Ain, soutenue par 30 députés et déposée à l’Assemblée nationale, en vue de modifier les textes ?

Mon amie avocate : Je ne sais pas… Tu sais, nous les avocats, nous n’avons pas beaucoup de temps, entre les déplacements, les attentes au Tribunal, les rendez-vous avec nos clients… De toute façon, je ne vois pas pourquoi un acte rédigé par un avocat serait moins valable que celui rédigé par un notaire.

 

Moi : Mais tout simplement parce que c’est la loi ! Un acte authentique est supérieur à un acte sous-seing privé.

Mon amie avocate : Oh, la Loi… Le code Napoléon a été modifié maintes fois pour suivre l’évolution de la société. Une fois de plus ou de moins…

 

Moi : Donc, dans le principe, tu trouves normale la démarche de tes confrères ?

Mon amie avocate : Je n’y ai pas réfléchi, mais elle ne me choque pas. Avocat, notaire…

 

Moi : Tout de même ! Nous n’avons pas la même formation. Nous n’avons pas pour mission de défendre un client, mais seulement de respecter la loi.

Mon amie avocate : Ah, parce que tu connais des notaires qui ne défendent pas leur client ? Mais ils ne font que cela !

 

Moi : Ils prennent un risque. En cas de faute, ils seront condamnés tous les deux “in solidum”.

Mon amie avocate : Tu sais, vous avez des assurances, et moi, ce que j’en vois, c’est que les notaires sont plutôt… Comment dire ?… “Des portefeuilles ambulants” !

 

Moi : Tu exagères. Dans toute profession, il y a des mauvais éléments. Je ne crois pas que la majorité d’entre nous soient obsédés par l’esprit de lucre.

Mon amie avocate : En fait, ce qui me choque le plus, c’est le manque de confraternité de tes confrères hommes avec une femme avocat. Je n’éprouve pas ce sentiment avec une femme notaire.

 

Incompréhension

Elle a commis un lapsus (révélateur ?) que je ne relève pas. En revanche, la solidarité féminine jouerait-elle ? Je n’ai pas poursuivi la conversation. Je n’allais pas polémiquer par une si belle journée d’ “été indien”. Comment une avocate de plus de 50 ans peut-elle avoir des idées aussi peu réalistes sur la profession ? C’est bien la preuve que nous nous connaissons mal, qu’il y a une réelle concurrence et une totale incompréhension entre nous, ce qui pourtant ne devrait pas être le cas.

 

En fin de journée, après une bonne douche, j’ai consulté mes mails. C’est presque miraculeux de pouvoir disposer à tout instant d’un clavier, d’une mémoire, d’un facteur plus efficace que la Poste… Et nous ne nous en étonnons plus ! Je lis un certain nombre d’envois sans grand intérêt, quelques vidéos drôles, d’autres vulgaires, vues et revues. Je jette. Tiens !… Un lecteur qui a pris connaissance de mon dernier article. Avec internet, on reçoit aussi rapidement les bonnes nouvelles que les mauvaises, et si l’on veut être coupé du monde, il vaut mieux ne pas ouvrir l’ordinateur ! Je lis : “Tous ces notaires et anciens notaires qui écrivent dans N2000 nous ‘gavent’ comme disent les jeunes. Congratulez-vous entre vous si cela vous fait plaisir, et ce sera bien mieux…”. Que faire ? Répondre à une personne que je connais bien, qui m’apprécie certainement, mais qui ne comprend pas une critique qu’elle considère comme trop systématique et en grande partie injustifiée. C’est inutile, car en fait, comme entre avocats et notaires, il y a une vraie incompréhension entre les rédacteurs de N2000 et certains confrères ou certains élus de la profession. J’aurais pu lui répondre comme Marcello Mastroianni : “Ce qui est beau dans la vieillesse, c’est que tu peux dire tout ce que tu veux !”. Décidément, que ce soit dans les oliviers ou sur internet, je suis toujours branché sur mon ex-profession. En ce qui concerne le notariat, je ne sais pas, mais en ce qui concerne la critique, “c’est le bagne à perpétuité” comme l’a dit Louis Aragon.