Les notaires rêvent de transparence, mais dans leur maison et entre eux ! En effet, s’il se dégage de notre enquête un désir très net de renforcement des sanctions, notre panel souhaite majoritairement que cela se passe en interne.
Les sanctions disciplinaires vous paraissent-elles adaptées ?
Ici et là, on constate un grand vide entre les sanctions professionnelles qui sont surtout morales et les sanctions judiciaires. Il est intéressant de noter que la quasi-majorité de notre panel (y compris les 45% qui ne remettent pas en cause l’échelle des sanctions) déplorent qu’elles ne soient pas appliquées avec suffisamment de rigueur et de détermination. « Existe-t-il des statistiques ? » interroge Yves Lambert (Côtes-d’Armor). « Ce ne sont pas tant les différents modes de sanctions qui sont critiquables, mais leur mise en application par la profession, explique un notaire du Loir-et-Cher qui préfère garder l’anonymat. Ne pas vouloir ternir l’image de la profession, souvent attaquée, est une attitude tout à fait louable, mais donne parfois l’impression que les notaires, par un souci constant de ne pas faire de vagues, ne traitent pas les coupables de malversations graves comme ils devraient l’être. Par exemple lorsqu’on suscite une démission volontaire plutôt que d’appliquer une destitution. » Pour Hervé-Henri Ponceau (Indre-et-Loire), « il faut arrêter définitivement le copinage et faire une application très stricte des textes ». Et de suggérer pour muscler cette discipline quelque peu ramollie « le renouvellement par tous les confrères du serment de respect des règles de discipline avec les nouveaux notaires en A.G ; des formations spécifiques sur l’éthique et la discipline, surtout pour ceux qui arrivent de « passerelles », et la création d’une carte professionnelle à points ! »…
À noter : 17% de notre panel ne connaît pas l’échelle des sanctions existantes. Les sanctions disciplinaires sont pour mémoire : 1er le rappel à l’ordre, 2e la censure simple, 3e la censure devant la Chambre assemblée, 4e la défense de récidiver, 5e l’interdiction temporaire, 6e la destitution. Les trois dernières sanctions relèvent du Tribunal de Grande Instance.
Les exemples de sanctions et mesures diverses ci-après vous paraîtraient-elles appropriées ?
Exemples de sanctions OUI NON
Divulgation lors des assemblées de Compagnie 56 % 44 % de la liste des confrères ayant fait l’objet du plus grand nombre de réclamations
Sanctions financières 73 % 27 %
Obligation d’affichage sur la porte de l’office 7 % 93 %
Publication de la sanction dans la presse 7 % 93 %
NDLR : Relire à ce propos l’article de Jean-Marie Celer paru dans notre n°427 (février 2001) page 10, sur « L’inefficacité des sanctions ».
Vos commentaires…
• Divulgation lors des assemblées 44% jugent cette sanction « humiliante et sans intérêt », « écœurante » (Alain Boivin dans la Somme) ou encore « ahurissante ». C’est le point de vue de Myriam Junger (Moselle) qui s’insurge également contre l’obligation d’affichage et la publication dans la presse. En revanche, 56% sont favorables à la divulgation lors des assemblées des mauvais éléments, à condition que les réclamations soient fondées. En Ardèche, ce processus est d’ailleurs déjà mis en place, nous dit-on, « avec remise du prix au plus mauvais ».
• Sanctions financières 73% prônent les sanctions financières et se rangent à l’avis de Philippe Maitrot (Somme) qui les imagine « proportionnelles à la gravité ou au nombre de manquements ». De son côté, Jean-Luc Charbonnier (Côte d’Or) se dit partisan de ce type de sanctions si le préjudice du plaignant est financier. Son confrère de Haute-Garonne observe que « si le notaire connaît des difficultés de trésorerie, une assistance serait préférable à une sanction pécuniaire ». Ici et là, plusieurs solutions fusent : adoption d’un principe similaire à celui du permis à points, « bonus/malus » sur les assurances professionnelles… Pour d’autres, comme pour le Président de la Chambre Interdépartementale du Limousin, Me Niel, cette question devrait relever de la Caisse de Garantie…
• Affichage sur la porte, publication dans la presse Le ton se durcit dès que l’on évoque des sanctions plus médiatiques. « Je suis atterré que vous ayez pu penser à de tels exemples de sanctions. Vous semblez oublier que les 3/4 ? des plaintes (sinon plus) ne sont pas justifiées et émanent de clients style « victimes de notaires » dont vous pourriez être de bons représentants » nous écrit un notaire des Côtes d’Armor. Bon nombre sont également ceux qui nous rappellent, avec ou sans humour, que la mise au pilori est d’un autre temps (lire à ce sujet le rêve de MLK p.12). Plus concrètement, 93% du panel jugent préférable de ne pas « déballer le linge sale » sur la place publique car, lit-on souvent, ce serait faire du tort à la profession. « Chaque faute commise par un confrère éclabousse l’ensemble de la profession » explique Charlotte Sarlat (Dordogne). De même, pour Catherine Bonichot (Moselle), qui nous reproche gentiment de « vouloir laver plus blanc que blanc », il faut être très prudent en ce qui concerne les sanctions portées à la connaissance du public. « Personne n’en sortira grandi, certainement pas le notariat, et cela ne contribuera pas à permettre le redressement de l’office du confrère mis en cause. Quant à l’effet dissuasif, il reste à prouver. »
À noter : S’ils s’opposent à l’affichage sur la porte de l’office et à la publication dans la presse, quelques-uns, comme Me Philippe Soulard (Loire-Atlantique), préconisent une publication dans la presse professionnelle et de suivre l’exemple du Barreau de Paris qui publie dans son bulletin interne les sanctions et leurs motifs ! D’autres enfin souhaiteraient que la profession frappe plus fort en cas de malversations graves, de manière à montrer, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses rangs, qu’elle est tout à fait capable de s’autodiscipliner.
D’autres exemples de sanctions…
37 % des notaires interrogés ont proposé d’autres exemples de sanctions. Ainsi, Jean-Paul Lecointe (Oise) constate que dans le cadre d’un dossier de réclamations, le notaire instructeur est bien souvent tenu de calmer une irritation bien compréhensible du client qui n’a pu obtenir de son notaire les explications demandées. Il déplore que de nombreux confrères ne respectent pas le délai de réponse de 15 jours et suggère qu’une sanction financière de 60 euros soit appliquée en cas de non-réponse. De son côté Alain Pointurier, Président de la Chambre des notaires du Doubs, propose de rendre obligatoire le suivi d’un ou plusieurs stages pratiques pour « améliorer la prestation du notaire là où ça coince ! ». Un point de vue partagé par bon nombre de ses confrères, dont Alain Royer (Charente) qui trouverait juste par ailleurs que le confrère « fautif » puisse « se faire assister par un ou plusieurs confrères et/ou un avocat dans tous les domaines et devant toutes les autorités ayant pouvoir d’exercer une sanction ». Anne-Marie Mallegol (Finistère) suggère quant à elle la perte totale des honoraires sur l’acte litigieux et une augmentation des cotisations pour les notaires récidivistes. Un notaire du Tarn et Garonne préconise la diffusion à tous les confrères de la Compagnie des jugements ou des arrêts qui ont condamné tel ou tel notaire, en laissant apparaître son nom et sa résidence, quitte, précise un notaire de Loire-Atlantique, à ne l’envoyer qu’à ceux qui en font la demande. Un anonyme propose également que le notaire sanctionné ne puisse pas avoir de fonctions représentatives dans la profession. Enfin, un notaire du Val d’Oise, qui préfère également garder l’anonymat, insiste sur la nécessité de réviser le principe des inspections qui manque d’impartialité, « même s’il n’est pas envisageable de se faire contrôler et sanctionner par des personnes étrangères au métier ».
Notre point de vue
Nous pouvons observer que les sanctions financières sont plébiscitées par les 3/4 des réponses. Qui plus est, une majorité approuve la divulgation du « palmarès » ! Connaissant la frilosité financière des notaires, réaction normale de prudence à l’égard de l’argent (celui des autres certes, mais aussi le sien), sachant aussi le culte du secret, non seulement professionnel mais aussi secret élargi, indirectement issu du « devoir de réserve » dont l’officier public se sent redevable, nous pouvons en déduire qu’un certain « ras-le-bol » s’exprime. Il s’agit de celui des responsables qui savent et aussi celui du notaire « de base » qui voudrait savoir qui fait des trous dans la coque pendant qu’il est aux rames ! La levée des boucliers à l’encontre des questions iconoclastes est rassurante quant à la capacité de réaction du corps lorsqu’il se sent agressé ! Globalement, l’analyse de ces réponses et des commentaires souvent savoureux qui les accompagnent, affiche une grande cohérence, à la fois dans le sens de la mesure, qui caractérise la profession, mais aussi, et c’est nouveau, l’expression d’un « ça suffit ! » en direction de ceux qui s’assoient sur leurs responsabilités, sans vergogne, détériorant notre image et notre crédit de confiance auxquels nous restons si attachés. 1/3 du panel imagine d’autres sanctions, signe d’agacement et d’une bonne vitalité, et les 4/10 veulent bien être nominativement cités à propos de leurs engagements. Évolution rassurante ! Et signal donné à nos responsables !
NDLR : Cette enquête a été réalisée en septembre dernier. 1437 études ont été interrogées ainsi que les Présidents de Chambre. Le taux de retour est de 9%.