S’installer, voilà l’ambition de nombreux jeunes qui entrent dans la profession. Mais l’installation est-elle un long fleuve tranquille, une rivière semée d’embûches ou un rêve inaccessible ? État des lieux.

 

Côté cour, la profession s’inquiète des effets “papy boom” et de la nécessité de renouvellement d’une grande partie du personnel et des notaires. Elle se préoccupe de recruter du “personnel qualifié”, ce qui l’a notamment conduit à réaliser une “opération jeunes” et une offensive séduction sur M6 avec la série “T’as pas une minute ?”. Une nouvelle série de créations d’offices a été mise sur pied (1) et des prêts cautionnés viennent faciliter l’installation de tous, fortunés ou non. Mais qu’en est-il côté coulisse ?

 

Dans la réalité…

Dans les offres d’office (peu nombreuses), il est fréquent de lire : “écrire à la revue avec CV et apport”, “indiquer expérience et apport” ou encore “apport minimum 300.000 €”. Les prix sont généralement très (trop) élevés et la profession n’a aucune autorité dessus, même en présence de surévaluation (2). Quelques jeunes viennent de pousser un “coup de gueule” sur le forum MJN, faisant part de leur difficulté à s’installer, et sur certaines pratiques “douteuses”. Pour trouver un office, certains font appel à des cabinets spécialisés (ce qui est un comble). Quant à nos clercs, ils ne sont guère mieux lotis : • Ils croulent sous le travail : “mes 35h sont faites en 3 jours” lit-on sur reseauetudiant.com ; • Leur salaire n’est pas motivant : “un 1er clerc ne gagne pas des masses – perso, je trouve dommage de faire droit, dess, pour finir clerc – : franchement, devenez notaire installé ou quittez la voie” (reseauetudiant.com) ; • La constitution d’un “apport personnel” suffisant pour l’achat d’un office leur demande en moyenne 25 ans d’économies…

 

Fossé

Y aurait-il un fossé entre le discours et les réalités ? Nous demandons à nos jeunes d’être de plus en plus qualifiés, et n’offrons aux plus ambitieux que des titres de “notaire assistant” ou “notaire salarié” (en supprimant la mention). Partager le titre, pourquoi pas, mais la finance, pas question ! Quelles solutions reste-t-il à un jeune diplômé désireux de “s’installer” s’il ne bénéficie pas de chance ou de solides appuis ? • Soit il se contente d’un office de seconde zone ; • Soit il reste à vie notaire salarié ; • Soit il quitte la profession et va gonfler les rangs de nos concurrents. Pendant que nous plafonnons à 8000-8500 notaires (qu’est devenu notre projet 10.000 notaires en 2000 ?), les avocats sont passés de 10.000 en 1990 à 30.000 en 2002… Avant que l’arrivée des jeunes ne se transforme “en grande désillusion” et qu’ils ne passent en masse à la concurrence, il serait utile d’approfondir “l’opération jeune”, et de se pencher sur les questions d’installation et d’accès à la finance d’un office.

 

Diagnostic obligatoire

Augmenter la taille des offices et imposer des mariages n’est pas forcément la bonne solution (un mariage librement consenti n’est déjà pas certain de résister à l’épreuve du temps). De plus, nos clients ne rêvent pas forcément d’offices “mammouths” et nombre d’entre nous sont individualistes. Instituer un système d’installation à la mode “Alsace-Lorraine” n’est sans doute pas non plus l’idéal. Des incitations pourraient être données (pourquoi pas financières ?) en vue d’encourager les jeunes à s’installer en zones rurales (avant qu’elles ne se vident complètement), et faciliter ainsi le “maillage juridique”, notre mission première. Mais cela repose le problème de la rentabilité des petits offices, notamment ruraux. Afin d’éviter certains “excès” côté cédants, pourquoi ne pas instaurer un diagnostic obligatoire établi par la Chambre, sur la valeur de l’office, et sa rentabilité, avant tout compromis et présentation du candidat acquéreur ?

 

Pépinières d’entreprises

Outre le fait que les créations envisagées soient insuffisantes par rapport aux besoins, on peut se demander s’il n’y aurait pas une grande réforme à mener. Que peut-on en effet envisager comme plan de carrière, lorsqu’il s’écoule plusieurs années entre le dépôt de votre candidature, et l’annonce des résultats ? Nous en sommes toujours au système des créations “décidées” par la profession. Même si un effort louable a été fait en la matière, ne pourrait-on laisser place à des créations “spontanées” ? De même, s’installer seul et sans expérience dans un office créé requiert nombre de qualités qui ne s’apprennent pas à l’école, mais sur le terrain. Un “parrain” ne résout pas tout. Pourquoi ne pas envisager la mise en place de “pépinières d’entreprises”, dans lesquelles le jeune installé entrerait en qualité de notaire salarié, et en ressortirait, après quelques années, une fois qu’il estimerait pouvoir naviguer seul, et l’office devenu viable. Faire perdurer le système actuel, même si l’on accélère le rythme des créations, risque de se révéler suicidaire pour l’avenir de la profession (et peut-être déclencher une révolte du style CNE). Il ne suffit pas d’attirer les jeunes vers la profession, il faut ensuite les aider à aller jusqu’au bout de leurs ambitions.

 

1 – “Plus les notaires seront nombreux, plus la profession sera forte”, Michel Blanc, NVIP, octobre 2004.

2 – “Folklore notarial”, N2000, novembre 2005.