L’heure est-elle venue de se tourner vers l’interprofessionnalité ? A lire les réponses de notre panel, il semblerait que le notariat ne soit pas prêt à relever le défi et rechigne à mettre fin aux querelles entre professionnels du droit. Surtout lorsqu’il s’agit des avocats…

 

Contre : « Chacun chez soi… et Dieu pour tous ! »

La majorité de notre panel (65 %) a du mal à faire rimer notariat avec interprofessionnalité. Elle y voit généralement un danger pour la profession (32 %) et pour l’usager de droit (33 %). « Chacun doit respecter son domaine de compétence et il est nécessaire de permettre à chaque client de pouvoir être sécurisé grâce à la pratique du barème ». Le statut d’officier public et les contraintes liées à la profession (garantie collective, procédure de nomination, etc.) sont d’ailleurs jugés « incompatibles » avec le principe de l’interprofessionnalité. Toute adaptation dans cette perspective serait « un coup de canif supplémentaire dans le contrat qui lie le notaire à la population française ». La seule parade serait que les autres professions acceptent les mêmes contraintes ou que celles auxquelles le notariat est lié soient supprimées. « Le notaire doit garder sa fonction et son originalité » nous dit toutefois Marc Cathary (Haute-Garonne). « Les alliances sont la porte ouverte au libéralisme et à la fin du statut bien caractérisé du notaire. (…) Je ne vois pas d’interprofessionnalité possible, ou alors avec un médecin car nos clients ont souvent l’impression de parler à leur médecin et nous appellent docteur » note avec humour Régis Legrand (Haute-Saône). Tandis que certains perçoivent l’interprofessionnalité comme une « alliance contre nature » (Yves Tabourier, Deux-Sèvres), nombreux sont ceux qui ne voient pas l’intérêt de « créer un tel monstre alors qu’une collaboration accrue est déjà possible » (Pascal Scherberich, Hérault). « Avoir un bon avocat et un bon expert comptable en relation est suffisant » écrit Marie-Andrée Atlas-Le Bagousse (Morbihan). Même point de vue pour ce lecteur de Saône-et-Loire « opposé à l’interprofessionnalité, mais favorable à la collaboration avec d’autres professions lorsqu’elles ont une compétence que le notaire n’a pas ». « La collaboration réciproque n’est pas l’interprofessionnalité, même partielle, précise enfin André Masson (Bouches-du-Rhône). Un avocat et un notaire ou un expert comptable et un notaire peuvent travailler ensemble sur un dossier, mais chacun doit conserver son identité, sa déontologie propre, sa rémunération et sa responsabilité ».

 

Pour : « Il faut vivre avec son temps  »

35 % des notaires interrogés sont favorables à l’interprofessionnalité. Un regroupement de compétences et une prise en charge globale des besoins des clients sont souvent mis en avant. « Il convient d’être moins hypocrite, écrit un lecteur de l’Ain. À ce jour, chacun de nous a plus ou moins un correspondant, ce sont des professions avec lesquelles nous sommes déjà en relation ». « La nature de nos missions impose des connaissances mutiprofessionnelles et une immédiateté dans le service » argumente son confrère des Deux-Sèvres. Quasiment tous sont prêts « à se fondre dans l’interprofessionnalité », même si certaines mesures sont nécessaires pour l’adapter au statut d’officier public et aux contraintes liées à la profession : règles de nomination harmonisées, mêmes garanties, regroupement des études, création de filiale… La mise en place de formations communes avec rappel des règles déontologiques de chaque profession serait selon Jean-Pierre Barnier (Orne) un bon tremplin à l’interprofessionnalité. Pour Eric Chaton (Aube), il faudrait « un signal fort venant d’un rapprochement entre les instances nationales des professions concernées (avocats, experts-comptables, magistrats…), ce qui n’est malheureusement pas à l’ordre du jour ». Sophie Hery, notaire dans la Drôme et rapporteur du prochain congrès MJN sur l’installation (voir p 28-29), préconise une harmonisation des statuts des professions tandis qu’un lecteur lyonnais aimerait « embaucher des associés minoritaires avocats et experts comptables ».

 

Interprofessionnalité partielle : oui, mais…

En règle générale, l’interprofessionnalité partielle (voir notre tableau) est préférée à l’interprofessionnalité globale (4 % seulement). Si les experts-comptables se taillent la part du lion car permettant d’avoir « une visibilité à plus long terme dans le droit des affaires » (Bruno Escallier, Isère), les magistrats tirent leur épingle du jeu, même si certains de nos lecteurs notent qu’ils ne connaissent pas bien l’authenticité. D’autres, comme Michel Fargues (Haute-Garonne), envisagent l’interprofessionnalité uniquement avec cette profession car « dans des dossiers de divorce ou de tutelle, l’échange des points de vue pourrait être plus fructueux et surtout décisif ». Enfin, avec les avocats, la tendance est mi-figue, mi raisin. Si certains y voient une bonne complémentarité, pour d’autres, comme ce notaire de la Mayenne, cela se ferait au détriment du notariat qui « serait vidé de son contenu ». « Ce serait le mariage de la carpe et du lapin » nous dit également un lecteur de la Marne avant de rappeler que « l’avocat ne partage pas les mêmes valeurs que le notaire »…

 

Le partage des locaux

65 % de notre panel ne sont pas prêts à partager ses locaux avec un avocat… mais un quart se verrait bien habiter dans le même immeuble. Quelques irréductibles n’y voient « d’autre intérêt que le partage de la photocopieuse et de la machine à café ». Ils soulignent le danger d’instaurer « une confusion des genres » dans la tête du client (Christian Louf, Somme), insistent sur le risque de conflits d’intérêts (Mireille Picca-Audran, Bouches-du-Rhône). Beaucoup redoutent que le client se sente « obligé ». Pour les autres (35 %), le partage de locaux a l’avantage de réduire les coûts de fonctionnement et d’améliorer le service proposé aux clients (Hervé Gougne dans la Drôme, Jean-Marie Henri dans le Cantal). Une solution astucieuse qui est déjà possible, comme le rappelle André Masson (Bouches-du-Rhône), avec les sociétés de moyens.