Nous sommes en 2011, après avoir été Président du Conseil Supérieur du Notariat, Me Jean-Pierre FERRET a été nommé Garde des Sceaux par le Président Sarkozy. Il a eu l’amabilité de nous accorder cette interview.
Notariat 2000 : Monsieur le Garde des Sceaux, vous êtes le premier notaire en France à accéder à la fonction de Ministre de la Justice, savez-vous quelles en sont les raisons ?
Jean-Pierre FERRET :Tout a commencé lors de ma rencontre avec le Président de la République en janvier 2009. Souvenez-vous, nous attendions les conclusions de la Commission Darrois et j’ai demandé à rencontrer M. Sarkozy pour lui affirmer que finalement nous ne céderions rien. Cette rencontre avait été très intéressante. En effet, je sentais le Président très embarrassé, ne sachant pas comment s’en sortir avec les avocats. Issu lui-même de cette profession, il souhaitait pouvoir contenter un grand nombre d’entre eux, qui gagnaient mal leur vie, en leur attribuant une partie de notre rôle (et donc de nos ressources). Ce souhait était d’autant plus fort que la profession d’avocat avait déjà été fortement malmenée, et alors que le Président savait que le « coup de grâce » risquait d’arriver peu de temps après par la suppression de la postulation. Il voulait en quelque sorte « amortir la chute ».
Notariat 2000 : Pourtant, lors de cette crise et avant cette rencontre, votre prédécesseur et vous-même, dans un premier temps, aviez eu une attitude différente.
Jean-Pierre FERRET : En effet, nous avions cru un moment qu’il suffisait d’accorder quelques bribes de nos fonctions ou prérogatives pour contenter la “horde” des avocats. J’ai réalisé juste à temps que nous étions finalement dans une partie de poker. Nous pensions à tort que pour éviter de tout perdre, il valait mieux faire des concessions. C’est en ce sens que nous étions même prêts à abandonner le 1% CDC et à reconnaître l’acte sous signature juridique…
Notariat 2000 :Quelle a été la cause de ce changement radical de politique ?
Jean-Pierre FERRET : Je me suis rendu compte qu’en cédant certaines de nos attributions, c’est notre profession tout entière que nous remettions en cause. Le notariat a toujours su se moderniser, s’adapter, que ce soit technologiquement, ou socialement. Paradoxalement, ce n’était pas le cas des avocats dont la profession restait finalement assez archaïque, notamment par son incapacité viscérale à se réguler. Lors de ma rencontre avec le Président Sarkozy, j’ai réussi à lui démontrer que s’il suivait ce qui semblait ressortir de la Commission Darrois, cela ne règlerait que temporairement et partiellement les problèmes des avocats. Un peu comme mettre un pansement sur une fracture. De plus, cela allait altérer notre métier qui, en cette période de crise économique due en partie aux subprimes, finissait par montrer son utilité aux yeux présidentiels. Finalement, j’ai montré au Président Sarkozy que les avocats bluffaient et j’ai pris le risque de miser le tout pour le tout : soit on ne touchait à rien, soit on perdait tout.
Notariat 2000 :C’est une stratégie très périlleuse, vous avez risqué de perdre notre profession sur un coup de poker ?
Jean-Pierre FERRET : Ce n’est pas exactement ça. Que serait devenue notre profession : une spécialité de la profession plus globale des avocats ? Quid de la garantie collective, du tarif, de la mission de service public, de ses règles si contraignantes qui sont aussi la garantie du service notarial ? Et puis surtout, j’ai démontré au Président Sarkozy que la vision des avocats était une vision à court terme. Je lui ai fait comprendre que le marché du droit était en expansion, mais que l’expansion du nombre d’avocats était plus forte et plus rapide encore, d’où une paupérisation. Mais surtout, je lui ai fait comprendre que ce n’est pas en modifiant la profession de notaire qu’il pourrait améliorer le sort des avocats et que c’était bien et uniquement la profession d’avocat qui devait évoluer. Le président Sarkozy m’a alors demandé si j’étais disposé à l’aider dans cette tâche. Suite à ma réponse affirmative, il m’a chargé de présider une « commission chargée d’étudier les moyens de modernisation et d’adaptation au marché du droit de la profession d’avocat ». Suite à la reddition de mon rapport, le Président de la République m’a nommé Garde des Sceaux avec mission notamment de mettre en œuvre cette réforme…