28 octobre 2008, souvenez-vous… le 1er acte authentique sur support électronique était signé par Rachida Dati, alors garde des Sceaux et Eric Besson, secrétaire d’Etat chargé de la Prospective et du développement de l’économie numérique. L’acte était reçu par le Président Reynis. 6 ans plus tard, des milliers d’actes ont été reçus sous la forme électronique et sont stockés dans le minutier central électronique (Micen). Notariat 2000 a voulu savoir si, chez vous aussi, le vent de la dématérialisation avait déjà soufflé. Enquête.
Un peu plus de la moitié des notaires interrogés (53 %) ont déjà reçu un acte authentique électronique (AAE). Certains démarrent juste, mais d’autres sont des utilisateurs confirmés. Ainsi Jean-Michel Coquema (Indre-et-Loire) nous dit que 60 % des actes de l’office sont des AAE, Pierre-André Treillard (Loire-Atlantique) ne les compte plus et François Martin, notaire à Dijon, signe « tous les actes sous la forme électronique (hors testaments et actes signés à l’extérieur) depuis juin 2013 ». Presque tous sont satisfaits de cette évolution et mentionnent un gain de temps « énorme ».
Combien d’actes avez-vous déjà reçu
dans la forme électronique ?
A – Etes-vous globalement satisfait de cette évolution ?
La grande majorité de notre panel (97 %) est conquise par l’AAE. François Granier (Hérault) le qualifie d’acte « super authentique ». « Même s’il y a des contraintes, je ne reviendrai pas en arrière, témoigne Hubert Preisemann (Haut-Rhin). J’en apprécie le confort de signature, le gain en sécurité et en clarté ».
1 Simplification de la signature des actes et des annexes. « Le temps de signature est considérablement réduit et la signature est beaucoup moins fastidieuse » explique Gérard Turlur (Alpes-de-Haute-Provence). Serge Constant (Meurthe-et-Moselle) a gagné un temps précieux avec l’AAE car « les clients apposent leurs signature deux fois et non 160 fois ! ».
2 Gain de temps. Il découle de la simplification de la signature des actes et des annexes, ces dernières se signant en une seule fois. François Granier, l’estime, « à la louche », à 20 %, la SCP Bernier/Paty (Eure) penche pour 10 %… A l’arrivée, 83 % des notaires interrogés constatent, comme Laurent Minvielle (Gers), un gain de temps significatif dans la phase de signature. L’estimation est plus difficile si on prend en compte tout le processus. « Le temps gagné en signature est perdu en temps d’attente réseau » entend-on en Saône-et-Loire. Jean-Lin Gérard (Rhône) a l’impression de gagner du temps dans les formalités postérieures : « plus besoin de manipuler la minute et ses annexes pour établir une copie authentique ! ». Arnaud Genin (Meurthe-et-Moselle) dresse un « bilan positif », mais relève que « la contrainte informatique liée à la rentrée des codes » et « le passage du logiciel de rédaction au logiciel de signature » fait perdre du temps. Pour Gérard Duval (Seine-et-Marne), le gain de temps est certain, sauf peut-être dans la préparation des actes. Rassurant, Jean Marc Dreno (Loire-Atlantique) calme le jeu : « la mise en marche est chronophage, les gains de temps viennent après » !
3 Efficacité : Avec l’AAE, finis les oublis de paraphes, les mentions manuscrites ! Plus simple, plus rapide, il est plus sûr : « Pendant la signature, la rigueur des formalités préalables (originaux reçus…) est un bon support pour l’exigence de l’authenticité » écrit Ariel Perdiguro (Bouches-du-Rhône). L’AAE est également plus clair pour le client qui visualise l’acte. La réception des actes est « plus conviviale », c’est l’occasion de « mieux informer le client » (Jacques-Raymond Piquet, Hérault). Il « participe ainsi davantage au rendez-vous en posant des questions » témoigne Jean Lusteau (Côtes-d’Armor). Danielle Barat (Indre-et-Loire) y voit un « retour à une réelle authenticité ». Globalement, le temps gagné avec la signature permet d’en consacrer davantage aux explications, ce qui renforce l’efficacité de l’acte.
4 Réduction des besoins d’archivage. Plus d’archives volumineuses avec l’AAE, on y gagne en place et en papier !
A noter : revers de la médaille, c’est la conservation qui pose le plus de problèmes à ceux qui n’ont pas encore franchi le pas. Lionel Frejaville (Villefranche, Aveyron) qui envisage « d’y passer d’ici 2 ans », émet des doutes quant à la durée de conservation. « Pourrons-nous consulter des AAE 200 ans après leur signature ? » s’interroge-t-il. Même questionnement pour Christian Moreno (Indre-et-Loire) qui va se lancer dans l’AAE, « par obligation », après le déménagement de son étude d’ici 2 ou 3 ans : « mon étude remonte à 1601. Aux archives départementales, il est encore possible de consulter des actes du XVIIe s. – je l’ai déjà fait-. Que seront nos archives dans 4 siècles ? ». D’autres, comme ce lecteur du Haut-Rhin, s’inquiètent : « Il m’a été dit que les actes volumineux ne pouvaient pas faire l’objet d’un archivage par le Micen ? ». Info ou intox ?
Vous n’avez pas reçu d’actes électroniques par :
5 Image de modernité. L’AAE renvoie une image moderne de la profession, il est « ludique pour les clients » (Ariel Perdiguro). « L’utilisation d’une technologie nouvelle impressionne la clientèle » (Gérard Clauzel, Hérault). Serge Constant préconise toutefois de ne pas « imposer » l’AAE aux clients. « Cette évolution est une révolution dans leur esprit. Certains clients demandent à conserver le support papier qui les rassure. Ainsi, il est nécessaire de leur expliquer que la valeur de l’acte est identique, qu’ils peuvent suivre la lecture sur l’écran de télévision et que l’acte authentique électronique leur évitera un traumatisme du poignet… » !
B. Qu’est-ce qui permettrait d’augmenter votre niveau de satisfaction ?
La dépendance vis-à-vis des caprices du réseau et l’affichage, lors d’un problème de liaison d’un message « défaut de conformité », (« en gras et en rouge au centre de l’écran ») sont problématiques. On nous signale également des dysfonctionnements entre les SSII et Real. L’outil reste perfectible et mérite quelques améliorations.
1 Augmenter la taille des actes électroniques. Notre panel souhaite, dans sa grande majorité, que le logiciel permette de « recevoir des actes plus lourds » car ils sont actuellement limités à 20 MO. « 20 MO, c’est trop peu » écrit Henri Aubin (Rhône). « Pour les actes lourds, on ne peut pas signer de manière électronique ! ».
2 Améliorer la méthode de scannage des documents qui laisse à désirer. « Ne peut-on recevoir l’ensemble des documents administratifs par voie électronique pour diminuer le nombre de scans à faire ? » demande Marion Poncie (Hérault).
3 Faire progresser le système vers la possibilité de signatures à distance/en concours, mais aussi en extérieur. « Pourquoi ne pas imaginer, lorsque les lieux de résidence des uns et des autres sont éloignés, un notaire et son vendeur à un endroit et, à un autre endroit, un notaire et un acquéreur ? » nous demande-t-on. Charles Baud (Isère) aimerait un passage à des tablettes wifi ou 3/4 G, pour les actes en signature à l’extérieur. Cette demande de « pouvoir signer à terme, en dehors de l’étude » est reprise par de nombreux notaires.
4 Améliorer le logiciel. Me Coquema regrette le manque de souplesse dans la procédure préparatoire. Arnaud Genin (Meurthe-et-Moselle) aimerait que la mise en œuvre du logiciel soit « plus rapide » pour passer du logiciel de rédaction d’acte à celui de signature et plus fluide dans le rattachement des annexes. Emeric Lehanneur déplore un temps trop long pour la transformation de l’acte et le chargement du module de lecture. Il nous dit, également, que les modifications à l’acte sont compliquées à apporter. Pierre-André Treillard fait le même constat. Il aimerait modifier plus facilement l’acte électronique en rendez-vous sans avoir à revenir sur Word. Du côté d’Angoulême, un de nos lecteurs fait également remarquer qu’il serait judicieux que les collaborateurs bénéficient d’une procédure plus souple pour modifier l’acte ou ajouter une annexe, « sans avoir à refaire toute la procédure de génération ». « Cette procédure existe déjà dans le cadre de la cérémonie de signature. Pourquoi pas l’étendre ? » conclut-il. De son côté, Me Laurent Aleaume (Lot-et-Garonne) voudrait que l’écran d’affichage des clients leur permette de visualiser seulement l’AAE, pas les autres programmes ouverts par le notaire (comme l’agenda et la messagerie). Pour Emmanuelle Mollet (Isère), il faudrait modifier la gestion de l’intervention du confrère car le logiciel traite le confrère comme un client et « ce n’est pas le cas : s’il n’est pas présent, l’acte peut être signé. »
5 Diminuer le coût. Nombreux sont ceux qui se plaignent du coût de l’AAE. « Le coût restant à la charge de l’étude est élevé (7 € par acte) et il n’est pas normal de laisser l’étude le supporter. Il en est de même pour le coût de l’abonnement internet exorbitant ». Un notaire du Rhône demande si une baisse du prix de l’équipement est envisageable. « A quand une organisation de la profession et une négociation des tarifs par les instances ? » interroge-t-il. Dans les Côtes-d’Armor, un lecteur aimerait pouvoir répercuter le coût de l’ADSN sur le client…
6 Clarifier la question de la conservation des annexes papier… « ou, du moins, du tri qu’il est possible de faire ». Hubert Preisemann aimerait avoir des instructions claires du CSN.
Quels ont été les principaux obstacles
(ou difficultés) à surmonter ?
C. La satisfaction du client
Selon notre panel, 99 % des clients sont satisfaits ! « Tout le monde trouve très bien que la profession de notaire se modernise ». Ainsi, François-Xavier Bousquet (Pyrénées-Atlantiques) confie que l’AAE est très apprécié, surtout des personnes âgées qui sont très réceptives. Me Lusteau confirme que les plus anciens trouvent plaisant de signer sur la tablette. Outre cet aspect ludique, les clients ont une bonne lisibilité de l’acte, ce qui leur permet de mieux comprendre. Une nouvelle relation s’instaure avec la clientèle. Me Perdiguro témoigne : « les clients sont contents d’éviter la procédure fastidieuse des signatures. Je leur projette l’acte sur le mur en très gros caractères, ils sont ravis et participent plus à la signature, surtout lorsque je modifie une clause. Ils peuvent voir la nouvelle clause au fur et à mesure de sa modification. » La modernité de l’AAE rejaillit sur l’image du notaire, « professionnel du droit moderne, en phase avec son époque ». François Martin, notaire à Dijon, regrette toutefois que, « dans le cadre de la solennité et de la cérémonie de signature, le notaire ne signe pas l’acte à la fin ».
A noter : le taux d’insatisfaction est quasi-nul. Toutefois, un de nos lecteurs nous fait part du manque d’enthousiasme de ses clients. « Les actes signés pour l’instant sont des actes de test, je leur fais donc signer selon les deux méthodes et je leur pose la question. » La réponse est surprenante. Souvent, on me dit « mais qu’est-ce qu’il y a de moderne là-dedans, je signe depuis longtemps comme ça pour des colis ». Mais surtout, tous émettent des craintes sur « la conservation ». Pour un autre, « la signature de l’acte, par la saisie du code pin sur la carte, retire le sentiment pour le client de voir son notaire signer à ses côtés », il en résulte « une sorte de distanciation préjudiciable ». Un notaire de Loire-Atlantique confie que certains de ses clients sont « sceptiques » et regrettent l’acte papier qui avait un côté « plus solennel ».
Le principal obstacle et le principal avantage
Les « difficultés »
Les incidences dans la chaîne de montage de l’acte sont, selon notre panel, les principales difficultés. Il faut du temps pour que les collaborateurs, mais aussi les notaires s’approprient l’outil. « Il vaut mieux avoir quelques facilités dans la manipulation d’un ordinateur » témoigne Laurent Aleaume. Du coup, certains avouent avoir du mal à se détacher du matériel pour « retrouver une approche plus conviviale avec les clients ». « Il a fallu changer d’habitude » témoigne Bernier Paty dans l’Eure. L’adaptation n’est pas simple. Certains se heurtent à une résistance psychologique des équipes. Il convient de modifier les habitudes des clercs qui, « n’ont pas toujours le temps de scanner les annexes et de gérer la mise en page de celle-ci » (Emmanuelle Mollet. Les « pros » de l’AAE distillent quelques conseils à leurs confrères débutants. Le dijonnais François Martin préconise une « implication de toute l’étude ». De son côté, Pierre-André Treillard conseille pour le scannage des annexes « d’avoir un bon photocopieur, de préférence recto-verso en une passe et surtout qui ne mange pas 2 photocopies en même temps ! ».
Les « atouts »
Pour 72 % des notaires interrogés, l’AAE dépoussière l’image du notaire. Il renvoie une image moderne et positive de la profession. L’AAE tend vers l’excellence. (Jean-Lin Gérard – Rhône), la sécurité juridique est optimale et il n’y a aucun risque d’oubli. « L’AAE remplit toutes les conditions relatives à l’authenticité : date de signature, perfection de la minute… » explique Emmanuelle Mollet. « L’AAE est une révolution juridique », renchérit un lecteur. « C’est aussi une vision moderne de notre métier. Il oblige à penser nos dossiers et nos actes différemment : beaucoup plus en amont (scan des pièces, analyse des documents, réactivité) Il est aussi, à mon avis, le préliminaire du dossier « partagé » avec le client. C’est déjà le cas pour certains experts-comptables ou conseils. Il faut par conséquent se mettre au goût du jour et avancer dans cette voie ». Pour Emeric Lehanneur, « c’est une très belle avancée qui marque un tournant dans l’histoire du notariat. S’il constitue déjà une petite révolution notariale en lui-même, l’AASE n’est que le prélude à d’autres évolutions : la signature à distance, les actes signés directement sur tablette… Et pourquoi pas, par la suite, la biométrie en support de la sécurité juridique ! ». Alors, chiche ?!
Quel est le principal atout ?